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vent déclamatoires, — nous avons les bas-reliefs et les pierres sculptées qui représentent les quatre phases de la vie du pieux réformateur : la naissance, la méditation, la prédication, et le sommeil éternel. Il va sans dire que la légende a brodé ses capricieuses arabesques autour de ces quatre sujets, si simples en eux-mêmes. Ce qu’on y remarque cependant, c’est que l’art a fini par rentrer dans les données de l’humanité et de l’honnêteté. Plus de figures monstrueuses, plus d’obscénités surtout : les formes sont devenues plus naturelles, les attitudes plus gracieuses. L’expression de la piété et de l’adoration y est rendue avec simplicité. Le Bouddha a vraiment la physionomie d’un saint personnage, et l’on conçoit très bien que l’assistance lève vers lui des bras supplians. La vue de ces bas-reliefs bouddhiques éveille des idées bien autrement douces et recueillies que les terribles et fantasques sculptures des grottes d’Éléphanta, où toutes les têtes sont sévères jusqu’à la dureté, souvent même grimaçantes jusqu’à l’ignoble[1].

L’art peut être considéré comme le reflet et l’expression de l’époque au milieu de laquelle il se développe. Ce qui reste de l’art bouddhique semble indiquer une société moins éprise du fantastique et du monstrueux que par le passé, moins dominée aussi par les terreurs d’une superstition grossière. Çâkya-Mouni a pris les traits d’un dieu, ceux du Bouddha par excellence ; mais ce dieu n’a plus que deux bras, ces deux bras sont désarmés, et les mains se joignent sur la poitrine avec un geste de tendresse persuasive. Sous l’influence du culte de cette divinité débonnaire, les mœurs de l’Inde durent s’adoucir et aussi s’épurer. La quiétude de l’âme, si fortement recommandée par la doctrine nouvelle, tendait à effacer les haines de famille entre les princes, elle devait aussi amoindrir singulièrement l’amour de la gloire. Le peuple se détournait du souvenir des héros et de leurs sanglans exploits ; il laissait les brahmanes laver, frotter, parfumer en silence les idoles délaissées, frapper aux fêtes solennelles les gros tambours et les cymbales retentissantes ; il les

  1. Sur l’une de ces pierres sculptées, l’artiste a représenté la scène du départ pour la forêt. Le jeune Çâkya a les cheveux coupés ; à ses côtés, on voit le cheval sur lequel il va partir. Ses serviteurs l’entourent en le regardant avec admiration et surprise ; à ses pieds s’agenouille une femme qui tend son vêtement vers Çâkya, et celui-ci y verse à pleines mains des monnaies d’or. On dirait une légende du moyen âge, une scène de la vie des saints reproduite d’après un vitrail. Ce qui est dit ici des sculptures de la grotte d’Éléphanta peut s’appliquer à toutes les sculptures brahmaniques, remarquables assurément par la grandeur de leur caractère, mais terribles à faire peur. J’en excepterai cependant les gigantesques compositions taillées dans les rochers de Mahamalipouram, non loin de Madras, et qui sont des bergeries colossales. Il est vrai qu’elles représentent les scènes de la jeunesse de Krichna. Dans le nord de l’Inde, on trouve aussi des monumens d’une délicatesse incontestable dans lesquels se révèlent un certain respect des formes, et un sentiment plus net de la correction des lignes ; mais ils sont postérieurs à l’époque des dynasties grecques de la Bactriane.