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nous pûmes communiquer. Jusqu’alors nous avions observé sur plusieurs points des traces d’êtres humains, on avait même cru voir s’enfuir à travers les broussailles des sauvages portant pour tout vêtement une peau de kanguroo jetée sur leurs épaules ; mais tous nos efforts pour entrer en relations avec les habitans du pays avaient été inutiles. Ce fut donc une grande satisfaction pour nous de ne pas quitter ces parages sans avoir constaté quelle race d’hommes vivait au milieu des forêts vierges dont nous avions à peine pu franchir la lisière. Notre première entrevue avec ces sauvages fut des plus amicales. On leur fit accepter deux cravates dont ils s’empressèrent d’entourer leurs têtes ; un couteau qui leur fut présenté parut les effrayer, surtout lorsqu’on fit mine de s’en servir pour leur en apprendre l’usage : ce fut bien pis encore quand, pour le rendre plus tranchant, on l’eut aiguisé, devant eux, sur une pierre. Nous eûmes, dans le courant de la campagne, l’occasion d’observer de plus près et avec plus de maturité les habitans de la terre de Van-Diémen. La première impression que leur aspect me fit éprouver, bien que j’eusse dû y être préparé par les récits du capitaine Cook et du capitaine Marion, fut singulièrement étrange. Je m’étonnai de trouver par une telle latitude, sous ce ciel tempéré et souvent voilé comme le nôtre, des nègres aux cheveux laineux, aux extrémités grêles, semblables de tout point aux naturels de la Nouvelle-Guinée. Quand plus tard j’entendis soutenir des systèmes plus bizarres les uns que les autres sur l’origine des familles si distinctes qui peuplent notre globe, quand on disserta longuement devant moi sur la métamorphose qu’avaient pu subir les enfans d’une même souche transplantés sous des climats divers, je me rappelai les nègres de la terre de Van-Diémen. Sous le 43e parallèle, au milieu de forêts non moins sombres que les bois sacrés de la Gaule et de la Germanie, j’avais retrouvé les vrais fils de Cham dans toute la perfection de leur hideuse laideur.[1]

Trente-sept jours après notre arrivée devant ces terres australes auxquelles la science a donné depuis lors le nom de l’intrépide navigateur qui les découvrit le premier, nous sortîmes du détroit que nous pouvions aussi appeler notre conquête. Sur une étendue de vingt-quatre milles, ce détroit sans égal au monde offre partout des mouillages faciles et exempts d’écueils. À moins d’une encablure de la côte, on peut encore laisser tomber l’ancre avec la certitude

  1. Deux ouvrages anglais, dont l’un a été imprimé à Londres en 1829, l’autre à Hobart-Town même en 1833, décrivent à peu près dans les mêmes termes les indigènes de la terre de Van-Diémen. « Their complexion is quite black, their hair woolly — their features flat and disagreable, a large flat nose with immense nostrils, lips particularly thick, a wide mouth — their limbs badly proportioned. »