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Durranies du Caboul, aux membres robustes, à l’aspect martial, montés sur leurs vigoureux petits chevaux de race turque.

Pendant six semaines, les deux armées restèrent à s’observer ; c’était à qui ne risquerait pas un combat dont l’issue devait être l’anéantissement de l’une des deux puissances. Cependant des escarmouches sanglantes avaient lieu chaque jour. Dans le camp des Mahrattes, on ne savait plus où trouver des vivres pour nourrir tant d’hommes, de chevaux et de chameaux ; il fut résolu que l’on sortirait des retranchemens, et que l’on courrait les chances d’un choc général. Les chefs principaux, inquiets du sort qui attendait leurs femmes, laissèrent auprès d’elles des serviteurs chargés de les égorger, si l’ennemi remportait la victoire. Au premier mouvement de retraite qui trahit la mauvaise position des Mahrattes, les Afghans mirent pied à terre pour assaillir le camp, et aussitôt commença une horrible boucherie. Le canon tonnait des deux côtés, les balles sifflaient, et les coutelas des Afghans faisaient des trouées profondes dans les rangs trop pressés des Mahrattes, qui se foulaient les uns les autres. L’aile gauche des Mahrattes commença à plier ; l’aile droite, ébranlée comme une barrière près de se rompre, fut entraînée à son tour, et l’étendard sacré de Sivadji, le fondateur de l’unité mahratte, disparut dans la déroute. C’en était fait de l’armée hindoue ; les musulmans triomphaient sur toute la ligne. Le radja des Mahrattes restait debout ; sur son éléphant, comme la dernière tour d’une forteresse écroulée, frappé de stupeur et semblant ne rien comprendre à ce qui se passait autour de lui. La panique était si grande que le roi demeurait seul. « Des cent mille hommes qui se pressaient naguère à ses côtés, dit un témoin oculaire de cette désastreuse journée[1], et parmi lesquels tant d’officiers de distinction, aucun ne resta auprès de sa hautesse ! Et pourtant, que de fois, aux jours, de la paix, je les avais entendus jurer qu’ils voudraient sacrifier mille fois leur vie, si cela se pouvait, plutôt que de laisser toucher un cheveu de la tête de sa hautesse ! Il se trouva qu’après avoir été tout simplement ses compagnons dans la prospérité, ils l’abandonnaient lâchement dans l’adversité. »

On évalue à près de cinq cent mille le nombre, des personnes, hommes, femmes et enfans, qui périrent ce jour-là du côté des Mahrattes. Ceux qu’épargna le carnage ne purent longtemps échapper aux coups des habitans de la campagne, qui les traquaient, comme des bêtes fauves. Les prisonniers subirent le même sort. Les malheureux qui tombèrent entre les mains des féroces Durranies furent massacrés pour la plupart. Ces Afghans impitoyables répandaient le

  1. Voyez la vie de Nana-Farnewis, ministre et ami particulier de Madhou-Rao, dit le grand radja de Satara. Cet écrit intéressant fait le sujet d’un mémoire publié par le lieut.-col. J. Briggs, M. R. A. S., qui fut résident à cette même cour de Satara.