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temps antérieurs et de leur propre histoire. Il y a eu, — il y a encore, — des brahmanes qui ne croient pas à leurs dieux, mais ils ont volontairement poussé les populations à des superstitions révoltantes, tant ils avaient à cœur de les dominer. Tout le prestige de leur autorité réside dans les pratiques du culte qu’ils représentent, dans la croyance à la divinité dont ils se prétendent les fils aînés. Peu soucieux de la vérité en elle-même, on les a vus toujours jaloux des doctrines nouvelles qui compromettent leur pouvoir. À force d’adresse et de talent, ils se sont maintenus au premier rang des sociétés indiennes, les ramenant à leur joug quand elles l’avaient secoué, veillant sans relâche au maintien de ces privilèges exorbitans dont l’exercice est devenu pour eux une seconde nature. Ils ont fini par croire à ces droits consacrés par trente siècles ; mais ils n’ont pas compris que ces droits leur imposaient des devoirs. Les peuples qu’ils courbaient sous leurs pieds et les rois qu’ils prétendaient conduire ont marché, la tête baissée, dans l’ornière d’une routine séculaire, sans rien connaître de ce qui se passait ailleurs, sans se moraliser, sans faire un pas dans la grande voie de la civilisation. Pasteurs intelligens des tribus aryennes au début de leurs pérégrinations, ils les ont guidées dans leur marche triomphante ; puis, une fois la conquête accomplie, ils se sont contentés de parquer les peuples de l’Inde comme des troupeaux, en les classant par castes, et ils les ont endormis au récit de leurs légendes merveilleuses. Au point de vue de l’imagination et de la poésie, on peut admirer ces représentons d’une race antique éprise des belles pensées et du beau langage, sœur de la race hellénique et alliée à toutes celles qui brillent en Europe ; mais, tout en respectant ce qu’il y a de glorieux dans leur passé, on doit reprocher hautement aux brahmanes leur orgueilleuse ignorance, leur égoïsme excessif et leur funeste habileté : à ourdir des intrigues. Chacun peut voir aujourd’hui ce qu’ils ont fait de la société indienne : un peuple fanatisé, docile à ses enseignemens les plus dangereux, dompté la veille, en pleine révolte le lendemain, passant de la timidité servile à l’exaltation de la férocité, et incapable de se conduire dans la paix comme dans la guerre. Ce qui les condamne enfin, c’est d’avoir repoussé avec obstination les lumières du christianisme, qui, en les éclairant eux-mêmes et en les arrachant aux pratiques d’un paganisme honteux, eût élevé les fils des Aryens et les populations indiennes au rang des nations intelligentes et civilisées. Il faut convenir aussi que l’Angleterre a fait bien peu d’efforts pour propager dans ses immenses possessions de l’Inde les enseignemens de la religion chrétienne.

Th. Pavie.