eusse rien dit, que la présence de sa mère me gâtait nos rendez-vous. Elle avait plusieurs fois essayé de l’éloigner sous différens prétextes ; mais Mme Morin, qui ne comprend rien à ces délicatesses, avait toujours fait la sourde oreille. Hier j’arrive, il était neuf heures. Je frappe, Louise m’ouvre, et je l’embrasse comme je fais d’habitude. « Nous serons seuls jusqu’à onze heures, » me dit-elle. Je l’embrassai de nouveau, mais plus tendrement. La chambre enfumée qui, avec le cabinet où couche Louise, compose toute la maison resplendit à mes yeux d’une clarté soudaine. Louise se mit sur mes genoux pour examiner ce que contenait le panier. Tout à coup elle s’écrie : « Des fleurs ! ah ! qu’elles sont belles ! » et de ses lèvres elle effleure mon front et me fait respirer le parfum du bouquet. Ce parfum m’enivra. Je n’avais point songé à le sentir en le prenant,… oui, en le prenant : c’était un bouquet volé. Notre jardinier était arrivé un peu tard de la campagne pour l’apporter à ma mère, qui le lui avait demandé. Il y a demain un bal à la sous-préfecture, mais elle n’y va pas ; ce n’est donc pas pour elle. « C’est bien, Laurent, ai-je dit au jardinier, je m’acquitterai de votre commission. Il est tard, vous avez au moins pour une heure de marche, et ma mère n’aime pas qu’on s’attarde pour elle. » Laurent ne se le fit pas dire deux fois, et me voilà dans la rue avec son bouquet. Au lieu de rentrer, je continue mon chemin et me rends auprès du discret ami chez qui je vais chercher mes provisions et revêtir la blouse mystérieuse. Ce que je te raconte là, je le racontais à Louise tout en riant et en respirant les fleurs. « C’est très mal, fit-elle d’un air moitié content, moitié fâché ; ces fleurs ne vous appartiennent pas, et vous avez eu tort d’en disposer. » Elle se leva, mit silencieusement le bouquet dans l’eau, l’admira, puis s’assit à mes pieds sur un petit banc. Je me taisais, je la regardais faire comme en extase. C’est que jamais je n’avais remarqué comme en ce moment cette noblesse de manières, cette grâce de mouvemens, cette élégance native qui la distinguent. Nous causâmes quelques instans, une heure peut-être, à demi-voix, comme deux ramiers sous l’ombrage ; nous causâmes… de quoi ? Le sais-je ? De tout et de rien : de la tempête de la nuit dernière, du joli bonnet qu’elle se faisait, d’une surprise qu’elle me ménageait, du printemps qui reviendrait, de nos chères ducasses, de nos danses et de nos retours au clair de la lune ; puis elle alla chercher un recueil de vers que je lui ai donné. Elle me pria de lui lire une méditation de Lamartine, disant que cela lui paraissait bien beau, mais qu’elle le comprenait mieux quand je le lui lisais. Elle pleurait en écoutant ces admirables vers. Quelles larmes, mon ami ! Comme on se sent meilleur, et comme notre âme s’élève en les voyant couler ! Elle me parla du ciel et de son amour,
Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/293
Apparence