Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai la manie de retourner de cent manières dans ma pauvre cervelle les choses qui m’ont frappé ; j’arrive ainsi à donner à des riens des proportions fabuleuses. J’en vins à penser que cette crainte de se voir mère était contraire à la nature, qu’une femme qui s’exprimait d’une telle façon n’aurait point aimé son enfant. Ainsi Louise se croirait vingt fois plus déshonorée par la preuve vivante de sa faute que par sa faute même, et pendant que je me réjouissais d’une espérance incertaine, la mère et la fille tremblaient, comme dans l’attente d’un malheur… Elles respirent maintenant, elles s’étaient trompées, le danger est passé, et moi je souffre sans oser avouer à Louise ce qui me fait souffrir. Ah ! que j’aurais besoin de ton amitié, si ingénieuse à m’apaiser, à me distraire ! Écris-moi par le prochain courrier ; dis-moi que je suis injuste envers Louise, gronde-moi, sermonne-moi, détourne-moi enfin de ces idées funestes. Toutes les raisons que je m’allègue pour la justifier ne sauraient me convaincre : elles auront plus de force quand elles viendront de toi.


15 octobre.

Merci de ta longue et bonne lettre, de tes sages conseils, de tes consolantes paroles. Cette lettre m’a rafraîchi ; je l’ai lue lentement, je l’ai savourée comme les fleurs aspirent la rosée du matin, goutte à goutte.

Tu ne te trompes pas ; mais qui le croirait ? Mon imagination est presque aussi ardente que la tienne. Je sens chaque jour davantage la nécessité d’un travail forcé, d’une fatigue régulière. Tout marche bien en ce moment. Je suis accablé de besogne. Mon père, qui va de mieux en mieux, ne se presse pas de me redemander le sceptre de la banque…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


8 novembre.

J’ai eu hier avec mon père un entretien que je veux te rapporter.

Nous étions seuls après le dîner au coin du feu. Ma mère était allée à l’église pour entendre je ne sais quel prédicateur qui fait tourner ici toutes les têtes. Nous causions avec cet abandon auquel on ne se livre qu’à certaines heures, même entre personnes qui ont toujours vécu ensemble, même de père à fils. Profitant de cette disposition favorable, mon père me dit : « Tu ne penses donc point du tout à te marier ? » Je lui répondis que je n’y pensais pas plus que la première fois qu’il m’en avait parlé. « Tu as tort, reprit-il ; tu es à un âge et dans des dispositions où il n’est guère prudent d’attendre. Je sais bien ce qui t’arrête ; mais je ne me suis marié moi-même, je n’ai épousé ta mère que pour m’arracher à un sentiment qui prenait sur moi beaucoup trop d’empire. » Tu juges de ma surprise et de mon embarras. Mon père n’a jamais eu l’air de me surveiller ; il m’a