quillement. Je ne lui avais rien promis ; elle s’attendait depuis longtemps au coup que je lui ai porté. Elle en a été ébranlée, mais elle s’est remise aussitôt. Elle m’aime pourtant ; oh ! elle m’aime comme personne ne m’aimera jamais ! Je te quitte un moment. Je te raconterai cela tout à l’heure.
C’était hier, 3 avril 185… C’est une date à mettre sur une tombe. Je l’attendais. La mère Morin allait et venait, plaignait sa pauvre chère enfant, qui rentrerait mouillée. Elle ouvrait de temps en temps la porte pour voir si elle arrivait et lui porter un parapluie. Cette odieuse mère a des tendresses inouïes : elle vendrait sa fille, mais elle se dépouillerait de son unique robe pour la couvrir. Louise rentra tout essoufflée ; elle avait couru et n’était presque pas mouillée, ayant mis son châle sur sa tête. Mme Morin prit le châle et le secoua. Louise interrogea sa mère du regard, vint à moi, et me dit : « Qu’est-ce que vous avez donc ? » J’éprouvais en effet une sorte de défaillance. J’avais préparé ce que je devais dire, mais je ne m’en souvenais plus. « Louise, lui dis-je enfin brusquement et faisant un effort suprême, il faut nous quitter. » Elle s’arrêta, pâlit, chancela, et s’appuya contre la table. Sa mère jeta le châle, courut à elle, et la reçut dans ses bras. Elle surmonta bien vite cette émotion, et me dit d’une voix étranglée : « Vous vous mariez ? — Oui. — Je le savais. » Elle se dégagea des bras de sa mère, reprit son châle, le parapluie, et se dirigea vers la porte. « Où allez-vous donc ? m’écriai-je. — Chez Édouard S…, répondit-elle d’un ton bref. Mon amant me quitte, il faut bien que j’en prenne un autre. » Et elle sortit.
Que j’étais loin de m’attendre à ces mots affreux ! Ah ! Léon, ils ne sont pas d’elle. Elle a compris qu’il lui fallait cesser d’être elle-même pour me punir, pour se venger. Elle n’a pas voulu me laisser emporter le souvenir de son désespoir. J’étais résolu à la frapper au cœur, mais je ne croyais pas qu’elle me rendrait ainsi blessure pour blessure. J’étais préoccupé de la douleur que j’allais lui causer, je n’avais point songé à celle que j’allais ressentir.
Sans essayer de son pouvoir sur moi, elle court se livrer à un autre ! Et à qui ?… Au regret de l’avoir perdue devait donc se joindre en moi le remords de l’avoir dégradée ! Elle !… Louise !… elle deviendrait !… Ah ! je ne puis… Pardonne-moi toutes ces faiblesses, je n’ai pas d’orgueil devant toi, je te laisse voir toutes mes larmes.
Le reste ne fut pas long. Dès que Louise fut sortie : « Je l’avais toujours prédit, reprit sa mère en larmoyant. Elle ne voulait pas me croire… » Je l’interrompis du geste, et tirant de ma poche vingt billets de mille francs : — Madame Morin, lui dis-je, voici vingt mille francs que je vous prie de faire accepter… Je n’aurais pas osé les lui donner à elle-même ; mais de vous peut-être… » J’étouf-