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pense vulgaire, je le sais, mais la plus douce qui soit au cœur de l’homme.

Louise est complètement rétablie, et semble gagner chaque jour des forces nouvelles. Elle n’est plus du tout une jeune fille, elle est une femme, une mère, et sa beauté a trouvé, je crois, le caractère qui lui convient. L’enfant a été baptisée : j’ai voulu qu’on la nommât Louise, comme sa mère. Ainsi ce nom se perpétuera sur mes lèvres comme le plus doux des noms d’ici-bas… C’est M. D…, comme de juste, qui a été le parrain, et ma mère la marraine. A mon second, et ce sera un fils (j’en prends cette fois l’engagement formel), c’est toi qui le tiendras sur les fonts avec Mme D… Nous avons déjà réglé cela, Louise et moi, car je suis encore bien heureux en ce point, elle partage l’affection que j’ai pour toi. C’est une âme grande et forte que j’aurais dû dès les premiers jours fondre tout entière avec la mienne. Il n’est plus temps. Un coin de mon cœur lui a été fermé, et je ne pourrais plus l’y introduire sans danger pour notre repos mutuel. Il y a maintenant au monde quelqu’un qu’elle aime plus que moi, son enfant. Qu’importe après tout ? Je ne sais si je suis changé, si le temps a déjà fait son œuvre en moi, si ma jeunesse est morte ; mais la part que j’ai me suffit. Il vaut mieux peut-être qu’il en soit ainsi. Ce que notre intimité y perd en charme, elle le regagne en dignité. L’époux qui s’est livré tout entier est moins respectable peut-être aux yeux de l’épouse. La confiance sans bornes qui est la première loi de l’amour n’est pas absolument nécessaire dans le mariage, du moins de la part de l’homme. Le mariage ressemble davantage à l’amitié. Il est en quelque sorte… Mais je ne veux pas le définir, et faire comme ces enfans qui brisent leur jouet pour savoir ce qu’il a dans le corps.

J’aurais bien plutôt envie de te raconter tous les hauts faits et toutes les prouesses, toutes les grâces et toutes les gentillesses de ma fille, qui n’a pas encore un mois. Elle est étonnante pour son âge ! C’est le mot de ma mère. Toutes les fois que je reviens du bureau, une heure se passe à me raconter tout ce que le chérubin a fait en mon absence, ses sourires, ses grimaces, ses étonnemens, ses peurs… Le récit est complet. Alors je leur enlève ma fille, j’en prends possession, et je me tiens à quatre pour ne pas la dévorer de caresses, ce qui a jusqu’ici l’inconvénient de la faire pleurer. Ah ! mon ami, quelles joies que celles-là, et que la vie que Dieu a faite à l’homme est douce et charmante !

Voici dix heures, la banque me réclame. À propos de la banque, sais-tu bien qu’elle est devenue nécessaire à ma vie ? Qui l’aurait cru ?