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pas su pénétrer à Stockholm ? Est-ce insouciance de la part de l’Allemagne ? ou faut-il croire que la société Scandinave ait repoussé sur ce point l’influence germanique ? Il est malheureusement hors de doute que les communications intellectuelles entre l’Allemagne et la Suède, si fécondes il y a cinquante ans, ont à peu près cessé aujourd’hui. Des ressentimens politiques ont interrompu ces relations des deux pays. Les plaintes, fondées ou non, des habitans allemands du Slesvig et du Holstein contre le gouvernement danois ont excité chez tous les peuples de la confédération germanique des colères dont on se ferait difficilement une idée. Il n’y a pas de question, depuis quinze ans, qui ait ému plus vivement nos voisins ; l’Allemagne se croit outragée dans son honneur national, dans sa mission civilisatrice, et elle fait éclater par des milliers de voix des protestations passionnées. Au milieu même des émotions de 1848, en face de la démagogie et de tous les dangers de l’intérieur, cette question du Slesvig-Holstein, comme on l’appelait, produisit une sorte de fièvre dans le parlement de Francfort ; l’émeute du 18 septembre et les crimes qu’elle amena n’ont pas eu d’autre prétexte. L’agitation dure encore ; les publicistes les plus autorisés l’entretiennent par leurs écrits, et les gouvernemens eux-mêmes, entraînés par l’opinion, ont dû engager avec le cabinet de Copenhague des négociations qui, mal conduites, pourraient troubler la paix générale. On comprend que les Danois, peuple brave et fier, aient relevé énergiquement ce défi. Quand les Allemands en ont appelé aux armes, quand la Prusse, en 1848 et en 1849, a crû devoir porter secours aux insurgés du Slesvig, le Danemark a montré qu’une lutte inégale ne l’effrayait pas ; à Bau, à Duppel, à Nybel, à Istedt, à Frederikstadt, il a prouvé sa force et mérité l’estime de l’Europe. Les souvenirs de cette guerre, les prétentions envahissantes de l’esprit germanique, tous ces faits, que je n’ai pas à exposer ici[1], devaient rendre l’Allemagne de plus en plus suspecte aux pays Scandinaves. On est loin des jours où l’éclat des lettres allemandes, avec Klopstock et Lessing, Goethe et Schiller, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, transportait d’enthousiasme le Danemark et la Suède. On proclamait alors, à Copenhague et à Stockholm, la grande fraternité des peuples germaniques ; on se rappelait la souche commune, et tous les fils des Goths étaient fiers de parler des langues sœurs ; maintenant tout cela est oublié, on se souvient seulement que, sans remonter aux origines premières de la race, il y a une fraternité plus distincte, plus vivante, celle qui unit entre eux les peuples spécialement Scandinaves, danois, suédois et norvégien. Toutes les tentatives faites dans ces derniers temps pour resserrer les liens de cette parenté nationale sont une réponse aux projets d’usurpation des Slesvig-Holsteinois ; en face du germanisme, le scandinavisme s’est levé.

  1. Voyez, sur les différentes phases de la question, les études publiées ici même par M. Alexandre Thomas (15 septembre 1846), par M. H. Desprez (1er octobre 1848, 15 mai 1849,15 juin 1850), et plus récemment par M. Geffroy dans les derniers volumes de l’Annuaire des Deux Mondes.