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même saison, avait mouillé, non loin du havre Carteret, dans un port plus encaissé encore, qu’il avait désigné sous le nom de Port-Praslin, s’était plaint des pluies abondantes qui l’y avaient assailli pendant toute la durée de son séjour. Nous eûmes le même sort : les cataractes du ciel s’ouvrirent aussi pour nous, et durant les sept jours que nous passâmes au havre Carteret, nous aurions pu nous croire au milieu d’un nouveau déluge. Ce fut le tour des astronomes et des géographes de gémir : point de soleil pour fixer par des observations ce point important auquel nous voulions rattacher nos précédentes découvertes ! La pluie tombait par torrens, et de la terre, pénétrée jusque dans ses entrailles, s’élevaient de lourdes vapeurs qui, après avoir rasé quelque temps le sol, finissaient par aller se confondre avec les nuages. Les naturalistes seuls pouvaient se promettre quelque profit de cette relâche : il leur restait le rivage et le fond de la mer à exploiter ; mais à cette besogne j’étais plus ardent qu’eux, et il eût fallu d’autres intempéries que celles que nous y avions à subir pour m’empêcher d’enrichir ma collection de coquilles de nouvelle espèce. Dès le point du jour, j’étais sur la plage ; j’errais au milieu des bancs de coraux dont les aspérités me faisaient souvent de cruelles blessures, je retournais les blocs dont le poids n’était pas excessif, je fouillais toutes les anfractuosités des roches que je ne pouvais pas déplacer. Lorsque je rencontrais une petite anse de sable fin, je m’étendais sur le fond, tenant de mon mieux ma tête hors de l’eau, avançant pas à pas, et promenant lentement mes mains autour de moi. Dès que je sentais quelque corps poli sous mes doigts, je me hâtais de fermer la main pour le saisir. Si le coquillage, plus prompt que moi, m’échappait, il était inutile de chercher à l’atteindre ; il s’enfonçait dans le sable avec une telle rapidité, que je faisais de vains efforts pour le retrouver. Une seule chose troublait ces parties de plaisir : comme il pleuvait toujours, je n’avais aucun moyen de sécher mes vêtemens et de reparaître à bord dans une tenue convenable. J’eus tout à coup une inspiration qui me parut des plus heureuses : je pliai et je mis soigneusement à l’abri mes effets, je me dépouillai même de ma chemise, et, sans inquiétude désormais pour l’avenir, je recommençai à parcourir le rivage dans toute la nudité d’un Indien. Je n’avais malheureusement pas encore la peau d’un sauvage. De ce que je ne voyais plus le soleil, j’avais conclu que je n’en devais plus redouter l’influence. Hélas ! ces nuages si noirs, qui semblaient me protéger, firent sur mon corps l’effet d’une lentille qui concentre à son foyer les rayons qui la traversent : je fus horriblement brûlé. Quand je rentrai à bord de la Durance, j’étais d’un rouge écarlate. J’eus un accès de fièvre très violent, et je changeai de peau des pieds à la tête.