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mon cœur. Un groupe de jeunes femmes, la plupart dans la fleur de l’âge, était assis sur la lisière du bois qui couvrait alors presque complètement l’îlot de Panghaï-Modou. Je ne pus m’empêcher de remarquer au milieu de ce groupe une jeune fille bien supérieure en beauté à ses compagnes. Ses manières distinguées, les égards dont on l’entourait, tout annonçait que cette délicieuse enfant appartenait à la classe la plus élevée du pays. J’appris plus tard et son nom et son rang. Elle se nommait Véa, et, issue du sang divin des Fatta-Faïhis, elle tenait de très près à la reine. Depuis cette rencontre, je ne descendis jamais à terre sans revoir Véa, et le langage des yeux amena bientôt le jeune officier de la Durance et la descendante des Fatta-Faïhis à échanger quelques paroles dans le gracieux dialecte de Tonga-Tabou. Affranchie de toute surveillance importune, Véa jouissait des prérogatives attachées dans les îles des Amis au hasard heureux de la naissance. Nos entrevues n’étaient donc contrariées que par les exigences du service qui me ramenaient à bord. Véa se plaisait à m’apprendre elle-même l’idiome dont je ne savais encore que balbutier quelques mots. Chaque jour rendait notre attachement plus tendre et plus profond. Lorsqu’il m’était interdit de quitter la corvette, Véa venait elle-même, dans une grande pirogue, accompagnée de sa suite, m’offrir quelques présens, puis, sans vouloir s’arrêter davantage, elle retournait immédiatement à terre. Une seule fois je ne pus résister aux vives sollicitations de mes camarades. Éblouis de tant de charmes, ils voulurent présenter Véa à notre commandant. M. de Terrasson était alors alité et en proie à de cruelles souffrances. La jeunesse, l’air de candeur, la grâce naturelle de cette ravissante créature, le frappèrent d’admiration ; ses douleurs en parurent un instant suspendues. Il ordonna à son domestique de lui apporter une ceinture tout étincelante de l’éclat de l’acier poli qui l’ornait, et la plaça lui-même de ses débiles mains autour du corps de cette belle jeune fille. Véa fut très sensible à un cadeau si précieux. Ses regards m’exprimèrent éloquemment tout son bonheur. Nous nous donnâmes rendez-vous, le soir de ce même jour, sur l’îlot de Panghaï-Modou. On y avait fait de grands préparatifs pour offrir aux insulaires le spectacle d’un feu d’artifice, et il était probable que les spectateurs seraient nombreux ; mais nos mesures étaient prises pour nous retrouver au milieu de cette foule.

Une heure avant le coucher du soleil, un fort détachement de nos soldats de marine, armés et en grande tenue, fut débarqué sur la plage. La fête commença par un exercice à feu, accompagné de quelques manœuvres. Les insulaires parurent fort effrayés du bruit des feux de peloton. Ce qui sembla le plus les étonner, ce fut la