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milieu[1] voudraient voir la guerre se circonscrire dans le Kwang -tong. La conquête, l’occupation définitive de cette riche province seraient à leurs yeux un gage suffisant de prépondérance commerciale et politique dans le présent ; elles permettraient à l’Angleterre de surveiller les événemens que l’avenir réserve à la Chine, et que l’on peut facilement prévoir. L’insurrection de l’armée indienne doit avoir, pour le moment du moins, mis un terme à de telles spéculations, et il est à croire que l’influence de notre gouvernement donnera à la lutte un but plus élevé, plus digne des idées que la France et l’Angleterre représentent dans le monde. Ces deux puissances ne peuvent toutefois atteindre un tel but qu’en faisant sentir leur influence au cœur même de l’empire la voix de leurs représentans doit retentir aux oreilles des membres du kium-ki-chu (conseil des affaires étrangères) eux-mêmes. L’expérience acquise depuis 1840 n’est-elle pas suffisante pour convaincre tous les esprits que l’occupation d’une province, surtout d’une province aussi éloignée que le Kwang-tong, serait impuissante à vaincre l’orgueil et la politique des conseillers de l’empereur ? On n’obtiendrait pas ainsi un traité sérieux. L’édit impérial promulgué en 1850, lors de l’excursion de sir George Bonham Tsien-tsin, et que nous ayons cité textuellement, lève tous les doutes sur ce point.

Deux routes pourraient conduire une armée européenne jusqu’à la capitale de l’empire : celle du Pei-ho, celle du Yang-tz’-kiang. Le Pei-ho, dont un des affluens passe non loin de Pékin, se jette dans le golfe de Pe-tchi-li, après avoir traversé une contrée stérile, dont le niveau est souvent au-dessous de celui du fleuve. Le peu de profondeur des eaux du golfe dans sa partie septentrionale, la barre du Pei-ho ; qui n’offre guère à mer basse que trois ou quatre pieds de brasseyage, rendent presque impraticable aux navires européens l’accès de Tsien-tsin, un des principaux marchés de l’empire, situé à l’embranchement du Pei-ho et du Grand-Canal, à vingt milles seulement de l’embouchure du fleuve ; mais, en supposant que des moyens de descente pussent être réunis à temps et que le débarquement fût accompli, l’armée d’invasion aurait encore à franchir une distance de cent vingt milles en ligne directe, de cent quatre-vingt-deux milles en suivant les contours du fleuve, pour arriver à la capitale. Et cette marche aurait lieu à travers un pays marécageux, coupé de canaux et de rizières, dont le sol ne peut suffire à nourrir les habitans, même dans les années d’abondance, et qu’on inonderait avec la plus grande facilité en ouvrant les écluses qui maintiennent le Pei-ho dans son lit. C’est au village de Ta-ku, situé

  1. Voyez, sur les espérances de ce parti, qui avait pour organes, avant l’insurrection de l’armée indienne, certains journaux de Calcutta et de Madras, un article très significatif du Calcutta Morning Chronicle du 10 décembre 1856.