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sorte que tout l’arrière en fut ébranlé. On voulut, à l’aide de coins, essayer de le contenir ; les coins furent broyés. Le reste de cette effroyable nuit fut employé à confectionner, avec deux bordages de chêne, une nouvelle barre et à prendre toutes les précautions possibles pour prévenir la perte de notre gouvernail.

Au point du jour, le baromètre remonta, et le temps s’embellit. Un officier de la Durance fut chargé de sonder la baie. Il débarqua sur l’îlot qui nous avait si miraculeusement sauvés, et trouva qu’à toucher le rivage, il n’y avait pas moins de quatre brasses d’eau. Nos corvettes pouvaient donc s’y mettre, comme sous un môle, à couvert du vent et de la mer du large. Notre premier soin fut de profiter de ce renseignement et de prendre un meilleur mouillage que celui où nous avions subi de si cruelles angoisses. Nous établîmes nos forges à terre, et nous y procédâmes à la réparation de notre chaîne ainsi qu’à la confection de quelques ferrures destinées à consolider notre poupe ébranlée.

Je fus des premiers à gravir jusqu’au sommet de l’îlot à l’abri duquel nous étions mouillés ; de cette élévation, le regard embrassait toute l’étendue de la baie. Certes nous avions sujet de bénir la Providence, qui nous avait, au milieu de la plus épouvantable tourmente, guidés à travers un pareil labyrinthe. On n’apercevait de toutes parts que des écueils à fleur d’eau, des brisans ou de larges plaques blanchâtres, indices de hauts-fonds d’autant plus dangereux qu’ils étaient moins près de la surface et par conséquent moins visibles. Il est difficile de comprendre comment nous avions pu arriver jusqu’au port de refuge qui, au moment même où nous allions perdre tout espoir, s’était soudainement ouvert devant nous ; mais il eût fallu que le ciel à ce premier bienfait en ajoutât un autre. Il y avait déjà deux mois que nous avions quitté Amboine, et il devait nous rester trois ou quatre cents lieues de côte à reconnaître avant d’arriver au point de jonction ou de séparation, — nous ne savions encore lequel, — de la terre de Nuytz et de la terre de Van-Diémen. Pour accomplir cette reconnaissance, il nous fallait absolument renouveler notre provision d’eau sur la route. En prévision des difficultés que pourraient présenter à cet égard des côtes réputées stériles et désertes, la ration accordée à chaque homme avait été successivement réduite. Elle n’était plus depuis quelque temps que d’une bouteille par vingt-quatre heures, et encore cette eau, chargée de débris végétaux comme toute celle que l’on fait sous les tropiques, corrompue par son séjour dans des pièces en bois, exhalait-elle une odeur fétide qui soulevait le cœur. La chaleur était excessive, car nous nous trouvions sous le parallèle de 34 degrés dans les premiers jours de l’été et en face de dunes de sable d’une blancheur éblouissante, dont la réverbération contribuait à élever