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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/541

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en un mot ce qui peut nous manquer encore. À mon avis, ce qui nous manque, c’est ce qui manquait à la statue de Pygmalion, — le mouvement. Je voudrais que, comme au temps où j’étais volontaire sur la Reconnaissance, comme aux jours où je servais sous les ordres de M. de Bretigny, une activité joueuse succédât plus souvent à cette régularité monotone dont il me semble que nous avons quelque sujet de nous plaindre. Le service, pour être attrayant, ne doit pas avoir les pulsations d’une horloge. Il faut bien prendre garde d’ailleurs d’élever un édifice qui n’ait point de fondement, et qui puisse chanceler au moindre choc. N’est-ce pas la guerre que l’on doit avoir en vue quand on organise une flotte ou une armée ? Tout ce qui dans cette organisation ne peut résister à l’épreuve de la guerre me paraît donc de trop ; il y a, suivant moi, intérêt à le sacrifier. Il ne faut pas croire qu’une régularité exagérée soit nécessaire sur le terrain d’exercices pour qu’il en reste une suffisante en campagne. Il semble au contraire que des habitudes imposées tournent toujours au détriment de l’intelligence. Ce ne sont pas des régimens aux allures solennelles qui auraient gagné la bataille de l’Alma. Mes vœux sont faciles à résumer. Pour le matelot, je demande qu’on s’occupe avec une égale sollicitude de son instruction et de sa santé : la santé du soldat est, avec la discipline, la force des armées. Pour l’officier, je lui souhaiterais de supporter gaiement les épreuves du métier, d’être toujours allègre, dur aux intempéries, docile et d’humeur égale envers ses chefs, sympathique vis-à-vis de ses subordonnés, et, s’il le fallait, je lui accorderais volontiers la science de surcroît. La science ne gâte rien, du moment qu’elle ne pervertit pas le jugement et ne paralyse pas l’activité du corps.

Nos marins d’aujourd’hui se demanderont peut-être à quoi leur serviraient ces pénibles épreuves d’autrefois, les misères, les souffrances dont ces souvenirs semblent leur offrir avec une secrète intention le complaisant tableau. Ce serait, je l’accorde, un luxe presque inutile, si notre marine ne doit jamais avoir que des guerres faciles à soutenir, que des temps prospères à traverser ; mais si nos officiers étaient un jour engagés dans une lutte semblable à celle où s’est usée notre énergie, ils comprendraient combien étaient pour ainsi dire nécessaires les privations auxquelles fut soumise notre enfance. On parle souvent avec un peu de légèreté de la guerre maritime qui se prolongea presque sans interruption de 1792 à 1815. L’énorme disproportion des forces navales dans ce long conflit, le dénûment des arsenaux, le mauvais recrutement des équipages, les expéditions mal combinées, le fatal ascendant que de terribles succès avaient assuré à la marine anglaise, toutes ces causes de désastres