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de conversation; mais, à entendre ces phrases banales, on devinait qu’un mutuel embarras pesait sur les deux jeunes gens. Hélas! qui aurait pu lire au fond de leurs cœurs eût reconnu que rien n’était changé dans leur mutuelle affection; mais, comprenant mieux le véritable nom de ce qu’ils avaient appelé jusque-là une fraternelle amitié, tous deux, mais le marin surtout, n’osaient plus user de cette douce franchise qui avait jusque-là présidé à leurs entretiens. Et cependant le lieu où ils se trouvaient devait plaire à des jeunes gens amoureux. Il eut inspiré un poète. La nuit était calme et sereine, des myriades d’étoiles reluisaient sur un ciel bleu foncé. Les douces émanations des fleurs embaumaient l’atmosphère, et comme pour faire contraste à cette nature au repos, le pavillon de droite, magnifiquement éclairé, apparaissait dans le sombre de la nuit comme un palais féerique.

— Mademoiselle Anna, dit le marin, mademoiselle Anna, répéta-t-il avec un soupir... Puis, comme si les mots qu’il allait prononcer se fussent enfuis de ses lèvres, il ajouta machinalement : Ne trouvez-vous pas qu’il fait dans le salon une horrible chaleur?

— C’est la sixième fois que nous faisons à nous deux cette remarque intéressante, reprit naïvement la jeune fille. Oh ! vous n’avez pas à en rougir, je l’ai faite pour ma part trois fois, et l’avoue en toute humilité. Elle poursuivit : Dites-moi, mon cher camarade, vous expliquez-vous cet embarras involontaire que vous éprouvez près de moi, comme je l’éprouve près de vous? Ne sommes-nous donc point ici sur notre élément, et ne pouvons-nous être francs, gais et spirituels que sur mer? A bord, il y a déjà longtemps que vous m’auriez fait rire aux éclats, ou intéressée aux larmes. Ici, sur terre, vous me dites qu’il fait chaud dans le salon, et je vous réponds que la lune est belle!... Manquons-nous pourtant de sujets de conversation? N’avons-nous pas beaucoup à nous dire? Ne sommes-nous pas heureux, oh! bien heureux? Une fée bienfaisante semble avoir mis à nos ordres sa baguette enchantée. Tout ce que nous rêvions, tout ce qui nous semblait impossible s’est réalisé! J’ai vu le comte de Marmande, cet ami dont vous me parliez avec tant d’enthousiasme et de cœur, il a même fait fort peu d’attention à moi, pauvre fille; mais je ne lui en veux pas pour cela, et s’il ne s’est pas occupé de moi, je me suis beaucoup occupée de lui. J’ai su qu’il était bon et généreux, qu’il vous aimait comme vous l’aimez, et ma coquetterie ne lui garde pas rancune de son inattention. N’ai-je pas encore à vous entretenir de ce bon grand-père dont la tendresse a dépassé toutes mes espérances, qui au premier abord m’a donné la première place dans ses affections? Oh! nous avons bien à causer ensemble, et je crois qu’il me faudra retourner à bord de