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s’était opérée dans le costume du vieux serviteur; mais, quoiqu’il n’eût rien perdu au point de vue de l’élégance ou du comfortable en échangeant son costume de la veille pour des vêtemens plus modernes, sa figure et sa pose révélaient un homme contrarié dans ses habitudes, et il restait insensible aux caresses d’un chien braque qui, avec la familiarité d’un vieil ami, venait de temps à autre frotter son museau contre les genoux de son maître, tandis que deux jeunes chiens, appartenant évidemment à la même famille, prenaient leurs ébats sur la pelouse de la cour. Tout à coup l’attitude somnolente et renfrognée du vieux serviteur subit une entière métamorphose, et son regard inquiet et presque méprisant demeura fixement attaché sur deux chiens blanc orangé à longs poils qui, sous la conduite d’un quatrième garde, venaient de rejoindre le groupe des chasseurs. Il fallut pour le distraire de cette contemplation qu’une main vigoureuse s’appuyât sur son épaule, et qu’une voix sonore dît à son oreille : — Eh bien ! que fais-tu donc là. Laverdure ?

La personne qui apostrophait le vieux garde n’était autre que M. de Laluzerte; le baron venait de parcourir d’un pied léger les quatre kilomètres qui séparaient son habitation du Soupizot. Nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer que la plus puissante des fées gracieuses eut usé toutes ses baguettes avant d’accomplir la métamorphose que la perspective d’une journée de bonne chasse avait opérée dans la personne du baron. L’exercice, l’air vif du matin avaient coloré ses joues d’une teinte gaillarde en harmonie parfaite avec l’inclinaison d’une casquette conique posée sur la tête du vieillard à vingt degrés de crânerie. La courbe de ses épaules avait pris un développement presque rectiligne. Le jarret aisé, le fusil en bandoulière, les deux mains plongées dans de vastes poches béantes aux côtés de son pantalon, le baron semblait aussi libre de soucis que dispos de membres.

— Sauf votre respect, monsieur le baron, reprit le garde d’une voix pleine d’amertume, je pense que la jeunesse aime le nouveau, ce qui vient de loin, et que ce n’est pas défunt M. Le comte qui aurait fait venir des chiens d’Angleterre lorsqu’il avait sous la main les deux fils de Soliman que voici, et qui, j’ose le dire, sont dignes de leur race.

— Eh ! eh ! Laverdure, interrompit le baron en souriant, comme toujours tu fais la guerre aux chiens anglais. C’est ton dada. Je ne te le reproche pas; qui n’a pas le sien? Et cependant ils ont du bon.

— Oui,... ils ont l’arrêt ferme, c’est vrai; mais ne doit-on demander que cette seule qualité au chien, le plus bel ornement du chasseur!. .. Non, non, répéta le vieux garde avec une énergique conviction, ce n’est pas ce que j’appelle des chiens bien mis, des chiens dignes