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Huit jours après, la Dévastation entrait en armement. Alors commença pour elle une nouvelle période ; à mille bras qui l’étreignaient, mille autres bras succédèrent. On mit en place ce qui manquait encore du blindage dans les parties courbes ; les chaudières et l’appareil moteur furent montés ; le mâtage, le gréement et l’embarquement de l’artillerie suivirent de près ces divers travaux, et grâce à cette incroyable activité on fut bientôt en mesure de commencer les expériences de la machine. Les premières eurent l’insuccès le plus complet. L’appareil fonctionnait bien, il est vrai ; mais l’hélice, trop petite, tournait avec une rapidité effrayante, faisant bouillonner l’eau sans rencontrer une résistance suffisante pour donner l’impulsion au bâtiment, qui ne parvint pas à roidir ses amarres. C’était un poisson sans nageoires ! L’hélice trop faible fut remplacée par une autre aux branches plus larges et de plus grande dimension (1m 30 de diamètre). Cette fois la commission nommée pour suivre les expériences trouva le bâtiment moins rétif, et il fut décidé qu’il sortirait du port. Quelques jours plus tard, il se promenait gravement, — et surtout lentement, — le long de la digue de Cherbourg ; mais, hélas ! cette nonchalante promenade devait être de courte durée, et là encore allaient surgir de nouvelles entraves. L’appareil moteur, de la force de 225 chevaux, à haute pression, construit au Creuzot, d’après les plans de cet établissement, refusa tout à coup son concours. On orienta aussitôt la voilure pour remplacer l’action de la machine, et l’on ne tarda pas à se convaincre de l’impuissance des voiles même pour défendre le bâtiment contre le roulis. Des quais où on l’observait, la Dévastation paraissait peu préoccupée de son sort ; on eût dit, — et sa couleur grise prêtait à l’illusion, — un monstrueux cétacé endormi sur les eaux : elle se laissait mollement caresser par de traîtres flots qui, d’accord avec les courans, commençaient déjà à l’entraîner. Sans l’arrivée d’un bateau à vapeur qui la ramena à son point de départ, on ne sait trop ce qui serait advenu.

Cette première sortie démontra clairement : d’abord que la voilure devenait un luxe pour les batteries flottantes, puis que deux gouvernails latéraux devaient être ajoutés pour aider au premier, enfin que, les fourneaux manquant d’air, il était urgent de saborder le pont de la batterie. Je ne parle pas des deux dérives qu’on ajusta sur les hanches du bâtiment, espèces d’ailes disgracieuses qui ne pouvaient lui être d’aucune utilité, mais devaient en revanche accroître sa laideur. Enfin, après de nouvelles expériences et des vicissitudes de toute sorte, la Dévastation fut mise en rade le 21 juin 1855. On avait obtenu les résultats prévus. Que demandait-on en effet ? Qu’elle pût se conduire sans le secours d’un remorqueur sur le lieu du combat, afin de ne point exposer celui-ci au feu de