Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les chaises qui entourent la place. Un jeune hidalgo, nommé don Fernando d’Alcantara, se trouva un jour près de la belle Andalouse au moment où celle-ci, lassée, cherchait un siège pour se reposer. Il lui offrit sa chaise, et cet acte de courtoisie lui valut le plus gracieux sourire. Dès lors don Fernando se crut autorisé à se présenter chez la jeune fille aux heures où son père s’absentait pour ses affaires. Ces heureux tête-à-tête ne pouvaient pas toujours cependant se dégager de toute pensée importune sur l’avenir. « Fernando, dit un jour Rosario à son amant, j’ai songé à mon père : il ignore notre affection, et lorsqu’il la connaîtra !… oh ! je doute qu’il me permette jamais de vous appartenir ! » Après quelques momens d’un trouble douloureux, Fernando se montra plein d’ardeur et de confiance : il semblait frappé d’une idée subite. Que Rosario suivît ses instructions, et il répondait du succès. Rosario promit tout ce qu’il voulut, et Fernando s’éloigna. Quelques instans après, le jeune hidalgo se présentait dans un salon encombré de tables à tapis vert, d’étagères chargées de cartons, et une conversation assez animée s’engageait entre lui et un homme à physionomie bienveillante, qui travaillait au milieu de plusieurs registres à dos de cuir rouge. Après quelques minutes de conversation banale, le commerçant offrait ses services à Fernando en termes des plus encourageans. « Quelle que soit la nature des demandes que vous ayez à m’adresser, disait-il, agissez, je vous prie, en toute confiance. » Ainsi mis à l’aise, Fernando n’hésitait pas à profiter de la position, « J’ai, monsieur, quelque chose à réclamer de vous en ce moment même… Il ne s’agit point d’une demande d’argent, ni d’une demande d’emploi : c’est un bon conseil que je viens solliciter. » Et Fernando, sans remarquer la surprise du bon commerçant, qui l’écoutait de toutes ses oreilles, lui avouait qu’une jeune fille belle comme les anges avait touché son cœur. « Son père, car il faut que je vous dise toute la vérité, ajoutait-il, ne connaît point encore notre amour, et lorsqu’il en sera instruit, une idée qui le poursuit, qui tient peut-être à des considérations bien puissantes, me fera repousser. Il dira : Non, même au prix du bonheur de son enfant. Maintenant vous savez tout ; dites-moi, monsieur, je vous en supplie, que dois-je faire ? Votre cœur et votre expérience sauront, j’en suis convaincu, me dicter un bon conseil. » Le commerçant était resté presque abasourdi de la question. Il lui parut qu’une demande d’argent l’eût moins embarrassé. Quoiqu’il eût promis de répondre sans hésiter, il quitta son fauteuil, se promena avec agitation dans son bureau, souffla la poussière d’un registre, trempa sa plume dans l’encrier et la remit sur son oreille ; puis il dit enfin à Fernando, qui l’observait curieusement : — C’est grave, mon ami, très grave ; il faudrait… Non, ce