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Krichna qui se livre à des ébats folâtres au milieu des filles de Vrindavan. Le jeune dieu ne peut se dérober aux poursuites de ses amantes ; quand il veut partir pour Mathura, elles s’accrochent aux roues du char qui va l’emporter, et font retentir l’air de leurs sanglots. Tout cela, il faut l’avouer, ressemble trop à l’amour terrestre. Cependant, si l’esprit grossier des populations s’est arrêté complaisamment sur les tableaux érotiques tracés par les poètes, des intelligences plus délicates et plus élevées semblent avoir entrevu sous ces allégories le mystère de l’union mystique des âmes avec la Divinité. Comme homme, Krichna, — le vrai et réel Krichna de l’histoire, — a toutes les faiblesses des beaux et vaillans héros de l’antiquité païenne. Comme dieu, il aime d’un amour égal, d’un amour complet et absolu, toute créature qui se donne à lui. Aux femmes, il demande la tendresse du cœur, aux hommes le dévouement qui prend sa source dans la foi. Il y a plus : Krichna, qui veut sauver les enfans de la terre, se plaît à les attirer à son culte. Il parle dans le silence de la méditation aux esprits sincères et aux cœurs droits, se manifestant de préférence aux pacifiques et aux humbles. Le plus grand péché, selon les sectaires, c’est l’orgueil, qui résiste aux inspirations divines ; aussi la plus grande vertu sera-t-elle l’humilité, qui- dispose l’âme à recevoir la grâce d’en haut.

Ce point fondamental de la croyance vichnaïte, on le trouve clairement exposé dans deux courtes légendes que la tradition place, avec une certaine habileté, au moment même où Krichna va commencer sa carrière politique, je veux dire lorsque le jeune berger va monter sur le trône de Mathura, après avoir tué le roi Rans, son oncle. Il y a lieu d’insister sur ces deux passages de la vie de Krichna, parce qu’ils renferment tout l’esprit de la doctrine qui s’est abritée sous son nom.

Rans, roi de Mathura, devait périr de la main de Krichna ; des voix prophétiques le lui avaient annoncé depuis longtemps. Peut-être le seul crime de ce prince était-il de protéger exclusivement l’ancien culte de Civa contre la secte nouvelle ; la vérité sur ce point est difficile à connaître, parce que les circonstances de sa vie et de sa mort ne nous ont été transmises que par ses ennemis. Toujours est-il que les partisans de Krichna, voués au culte de Vichnou, exagérant les crimes de Kans en même temps qu’ils exaltaient leur héros, ont représenté le vieux roi de Mathura comme un géant, comme le chef des ogres et des démons ; la terre, disent-ils, gémissait sous le poids de ses crimes. C’est lui qui a suscité contre son neveu Krichna les monstres acharnés autour de son berceau et les bêtes hideuses qui l’ont mainte fois assailli dans la forêt. Résolu enfin à faire périr par trahison le jeune héros, qui a triomphé de