alors comment ses meilleurs tableaux ont gardé des traces de ces préoccupations excessives. Ce n’est du reste pas à ses compositions peintes, mais à ses lithographies et à ses caricatures que M. Decamps dut d’abord sa popularité. La caricature était en grande vogue à la fin de la restauration et pendant les années qui suivirent immédiatement la révolution de 1830. Ce genre, qui relève de l’art, puisqu’il en emploie les moyens, est une arme plus encore qu’autre chose. M. Decamps mania d’emblée cette arme terrible avec une vigueur et une adresse qu’on n’a pas oubliées. Collaborateur du journal la Caricature, il se distingua entre Grandville et Charlet. Les caricatures de M. Decamps portent la marque du maître et n’affaiblissent pas son œuvre. Cependant j’avoue que je les ai revues sans plaisir. Ces compositions ne sont pas gaies ; elles sont sarcastiques, spirituelles et amères. D’ailleurs elles frappent, raillent, ridiculisent des choses qui sont loin de nous et des hommes dont la défaite a été plus complète que l’auteur même ne l’aurait peut-être désiré. Les malheurs ont passé par là. Je n’en parlerai pas. Elles m’ont rappelé les vers de Dante :
… Nessun maggior dolore,
Che ricordarsi del tempo felice
Nella misera[1]…
Dans les lithographies se retrouvent en germes toutes les qualités qui distinguent M. Decamps : un dessin arrêté plutôt qu’élégant, la vérité du geste, beaucoup d’intention et de finesse dans l’expression, une excellente distribution des ombres et des lumières. Son crayon vaut à bien des égards son pinceau. Il donna plusieurs planches dans la publication intitulée Croquis par divers artistes. Ce sont des souvenirs de voyage, de petits sujets, quelquefois de simples indications. Je vois sur la même feuille un chien, deux chevaux, un enfant nègre fumant une longue pipe, un chien qui court, un soldat en armure ; sur une autre, deux Turcs, un pélican, un lion debout, un autre lion assis, d’une superbe tournure ; plus loin, des Bernois dans leur costume national, un chalet, un bout de paysage d’Asie avec des chameaux, des charrettes, des paysans, mille preuves vivantes de la curiosité de cet infatigable esprit. Les dix sujets de chasse qu’il publia ensuite ont plus d’importance. Ce sont des scènes complètes dont quelques-unes même ont été peintes. Le paysage qui joue un très grand rôle dans l’œuvre de M. Decamps n’est pas encore large et idéal comme il le sera plus tard ; mais la fermeté des terrains, la vigueur, la réalité des premiers plans, dénotent déjà l’homme qui a beaucoup et bien vu, qui est maître de son métier. M. Decamps s’est également essayé dans la gravure à l’eau-forte,
- ↑ L’Enfer, chant V.