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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/665

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un acharnement, une ténacité, un souci des détails, une recherche de procédés qui les alourdit, et leur enlève, avec la souplesse, la spontanéité, une grande partie de leur charme. Ses compositions restent profondément gravées dans l’esprit, mais un peu comme une idée fixe qui vous poursuit. L’attention est tendue jusqu’à se briser. Il y a de l’angoisse dans la séduction qu’on éprouve, on demande grâce, et devant certaines toiles de M. Decamps il me semble que je revois des objets que j’ai déjà vus, mais à travers les hallucinations du sommeil, et dans un rêve fiévreux.

Le caractère commun des ouvrages dont je parle est de n’avoir pas de sujets dans le sens ordinaire qu’on attache à ce mot, et le mérite est dans le bien rendu d’objets assez insignifians en eux-mêmes. L’ouvrier l’emporte sur le poète, la puissance créatrice du peintre ne s’emploie qu’à rendre avec perfection les parties matérielles et extérieures de son art. Le métier devient un but au lieu de rester un moyen, et il n’est pas mis, comme il devrait toujours l’être, au service d’idées intéressantes et définies. Ces murs ne sont là que pour refléter la lumière ou pour projeter des ombres. Les hommes, les animaux qui peuplent ces rues, ces boutiques, n’ont d’autre mission que d’exprimer avec justesse un ton ou une couleur. Or la couleur ni le clair-obscur ne peuvent faire le sujet d’un tableau. Ce serait donner trop d’importance à la rhétorique des yeux. Je sais bien que des objets insignifians ou laids peuvent servir de textes et de sujets à des ouvrages admirables. Certaines natures mortes et beaucoup de tableaux flamands en sont une irrécusable preuve. La transformation que l’esprit et la main de l’artiste font subir aux objets, cette transfiguration qui constitue l’art s’applique à tout, aussi bien à la dégradation de la lumière, à l’éclat des couleurs, qu’à la composition, au caractère, à l’expression. J’admire M. Decamps même lorsqu’il ne semble pour ainsi dire occupé que des parties matérielles de son art, je ne conteste pas les qualités excellentes qu’il a mises dans les tableaux dont je parle, et cependant j’ai hâte de quitter toutes ces œuvres charmantes. Je regrette que le peintre n’ait pas appliqué tant de talent, d’esprit, d’efforts infatigables à des sujets d’un ordre plus relevé. M. Decamps n’a pas fait son temps : il l’a subi. On lui demandait des tours de force, et il ne les a pas épargnés. On s’est adressé à la main de l’artisan consommé, et la main merveilleuse n’a pas toujours consulté le goût et le sentiment de l’artiste. Devant ces tableaux, on est ébloui, mais inquiet : on sent que le matérialisme gagne. Il ne faut pas que l’habit fasse oublier le corps, ni que celui-ci étouffe l’esprit.

On trouve néanmoins dans quelques-unes des plus humbles compositions de M. Decamps le sentiment dramatique, qui est le trait dominant de son génie. Le Bûcheron est surtout remarquable. Le