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les manieurs d’argent. Seulement le nombre lui en paraît considérable ; et tel même que, par un sentiment religieux et monarchique imité du grand siècle, il n’a d’espoir, pour opposer une digue à ces débordemens, que dans le prince et Dieu. Tandis que M. Proudhon dit de son temps : « C’est le règne Louis XV des bourgeois, » M. de Vallée souhaite qu’un nouveau Massillon recommence devant la bourgeoisie les sermons qu’il adressait aux grands, sans les avoir, hélas ! ni convaincus ni sauvés.

Certes la bourgeoisie a commis des fautes, et elle les expie ; mais la guerre qu’on lui fait aujourd’hui est-elle juste, et lorsqu’on la menace des rigueurs d’en haut et des violences d’en bas, est-ce pour un fait qui lui soit propre et pour un crime dont elle seule doive assumer la responsabilité ? Les hautes classes, aussi bien que les classes inférieures, sont-elles restées plus étrangères à cette funeste manie de l’argent que les classes moyennes, dont il est de mise à présent de poursuivre la puissance abattue d’accusations rétrospectives et sans générosité ? Il y aurait à coup sûr beaucoup à dire à ce sujet, et ce serait le cas, à propos de la spéculation elle-même, comme autrefois pour les classifications politiques, de se demander où commence et où finit la bourgeoisie. Mais, sans essayer de rejeter soit sur les entraînemens du pouvoir, soit sur les exigences des masses elles-mêmes, soit enfin sur l’avidité, imputée à tort aux classes moyennes seules, les excès et les dangers de la spéculation, il doit être bon, ce nous semble, d’étudier de plus près la nature et les élémens de la spéculation actuelle, de signaler le tort qu’elle a pu faire au travail réel, à ce que l’on doit appeler l’industrie, de comparer les progrès de l’une et de l’autre, et, — tout en déplorant les défaillances de l’esprit moderne et l’oubli où il laisse de généreux instincts et de nobles sentimens, — de rechercher si les préoccupations matérielles qui prédominent conduisent la société française aux catastrophes sanglantes, et la vouent aux expiations cruelles d’une prochaine révolution.


I. — DE LA SPECULATION.

La spéculation, on l’a vu, est la tête ; le commerce, l’industrie sont les membres : commençons donc par examiner les progrès et les abus de la spéculation, ab Jove principium. Poursuivons-la, comme le fait M. Proudhon, dans ce qu’il appelle son temple, et qu’il serait mieux de proclamer son repaire, son antre, son foyer d’infection, depuis que, la faisant descendre du rang de génie, créateur du travail, il n’a plus vu en elle que « le chancre de la production, la peste de la société et des états, corruptio optimi pessima. » Entrons