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ment ajouté qu’il ne faisait que leur retirer d’une main ce qu’il leur rendait de l’autre. L’auteur de Gabrielle a cherché à montrer comment l’œuvre des politiques périssait, ou subissait tout au moins d’incessans changemens, tandis que l’œuvre de l’écrivain survit à travers les âges, toujours la même, toujours marquée de l’empreinte primitive et originale. Les poèmes d’Homère existent encore : où sont les créations législatives de Solon et de Lycurgue ? M. Émile Augier ne voyait pas qu’il ne résolvait nullement la question, il la déplaçait. M. de Salvandy définissait mieux un jour cette alliance, quand il disait que la bonne littérature était celle qui inspirait de vigoureuses pensées, et la bonne politique celle qui les faisait passer dans la pratique. Voilà comment l’une et l’autre marchent vers un même but avec un égal honneur, en se prêtant un mutuel secours et en doublant leurs forces, car si les vues de la politique s’agrandissent et s’élèvent par la supériorité de la culture littéraire, les lettres trouvent à leur tour comme une puissance nouvelle dans ce sentiment ferme et vigoureux que développe la familiarité avec toutes les choses réelles de la vie publique.

Il n’y a vraiment rien de littéraire dans la politique aujourd’hui, soit qu’on l’observe dans les faits généraux, soit qu’on interroge de plus près les détails de la vie des peuples. Les questions qui ont occupé la diplomatie, qui l’occuperont encore, sont momentanément suspendues. L’organisation définitive des principautés, les règlemens de la navigation du Danube, auront leur jour. Débattues par toutes les polémiques, ces affaires reviendront dans les délibérations diplomatiques, quand le congrès se réunira. Le conflit persistant entre l’Allemagne et le Danemark au sujet des duchés marche lentement de son côté. La diète de Francfort vient d’adopter des résolutions qui doivent être communiquées au cabinet de Copenhague, et c’est là nécessairement le principe de négociations nouvelles où tous les intérêts se trouveront en présence, pour arriver à une conciliation désirée par l’Europe, et aussi utile à l’Allemagne qu’au Danemark lui-même. Veut-on voir la politique générale sous un autre aspect, il faut aller jusqu’à l’extrémité du monde, jusqu’aux Indes et en Chine. Là s’agitent encore des questions graves, celle du maintien de la prépondérance britannique dans les possessions indiennes, celle de l’extension de la civilisation dans le Céleste-Empire. On n’a point oublié que l’an dernier la Grande-Bretagne et la France envoyaient des plénipotentiaires en Chine. La France, il est vrai, n’était pas engagée, comme l’Angleterre l’était déjà, dans un conflit déclaré ; mais elle avait à venger des griefs, tels que le massacre de nos missionnaires, et elle avait aussi à réclamer en commun avec l’Angleterre des garanties pour les intérêts du commerce européen, des franchises plus étendues, qui seraient consacrées par de nouveaux traités. L’insurrection des Indes venait dans l’intervalle, et elle n’était pas propre à activer les opérations sérieuses que pouvaient nécessiter les circonstances. Depuis ce premier instant, les événemens semblent s’être précipités. Après des négociations inutiles engagées avec les autorités chinoises, les amiraux anglais et français ont pris une attitude plus menaçante ; le blocus a été déclaré, et les forces unies des deux puissances se disposaient à diriger une attaque régulière contre Canton. L’action a aujourd’hui commencé. Si les Anglais en