M. Bazin, grave professeur d’harmonie au Conservatoire, qui n’abuse pas de la permission qu’on lui laisse d’avoir des idées et de la mélodie.
Le Théâtre-Lyrique est toujours plein d’activité. La direction vigilante de M. Carvalho ne recule devant aucune tentative, même hasardeuse, pour rencontrer une de ces bonnes fortunes qui deviennent de plus en plus rares par le temps de science extrême où nous vivons : je veux dire que le Théâtre-Lyrique cherche un compositeur qui soit autre chose qu’un musicien habile, estimé des connaisseurs et des experts assermentés près les tribunaux. Il croyait bien l’avoir saisi dans son nid, ce phénix des bois, lorsqu’il donna les Nuits d’Espagne de M. Semet, jeune compositeur inconnu partout ailleurs qu’à l’orchestre de l’Opéra, où il tient les baguettes du timbalier. Cet ouvrage des Nuits d’Espagne, où il y avait de la facilité et de l’entrain, semblait promettre un mélodiste un peu inexpérimenté qui viendrait, comme ce pauvre Monpou de regrettable mémoire, chanter sur sa guitare à trois cordes :
- Gastibelza, l’homme à la carabine,
ou bien :
- Avez-vous vu dans Barcelone
- Une Andalouse au teint bruni ?
Mais non : M. Semet se trouve être un artiste fort bien élevé, qui sait le pourquoi des choses, et à qui il manque non pas la langue, qu’il a fort bien pendue, comme on dit, mais des idées qui ne sortent pas de la grande officine du Conservatoire. La Demoiselle d’honneur, opéra en trois actes, qu’on veut bien qualifier de comique je ne sais trop pourquoi, a été représentée le 30 décembre, et n’a pas répondu aux espérances qu’on avait pu concevoir de M. Semet. Je n’insisterai pas sur l’imbroglio fastidieux qui a servi de thème au jeune compositeur. Quand on a des idées, on trouve toujours une place pour les mettre, et il n’y a que les impuissans qui s’en prennent au libretto de leur stérilité. Mozart, Weber, Beethoven, Rossini ont fait des chefs-d’œuvre avec des contes de Barbe Bleue. Qu’est-ce donc que la Flûte enchantée, le Freyschütz, Fidelio, Matilde di Shabran, Ricciardo e Zoraïde, etc., sinon de mauvais mélodrames à faire peur aux enfans ? Tout le premier acte de la Demoiselle d’honneur est, à peu de chose près non avenu. On y sent l’effort et une large dose d’imitation de la manière de M. Auber, ce qui semble contradictoire. M. Semet use et abuse de l’emploi de la pédale dans l’harmonie et de la petite flûte, qui ne cesse de caqueter au-dessus de l’orchestre. Le finale du premier acte aurait pu devenir un morceau de maître, si le compositeur eût développé l’idée qu’on voit poindre lors de la remise du billet mystérieux à chacun des cavaliers. M. Semet a tourné court, en reprenant brusquement la marche qui avait déjà servi à annoncer l’entrée de la reine, et n’a pas donné suite à une situation qui était éminemment musicale. Pour ne pas être trop sévère, on peut encore signaler, au premier acte, une partie du duo que chante Tavannes avec sa sœur de lait, la petite Reinette. Au second acte, il y a un assez joli chœur pour voix de femme, une agréable ballade sur ces vers bien connus de Ronsard :
- Mignonne, allons voir ai la rose…