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la pauvre fille, et courait, d’un cœur joyeux, vers la maisonnette où il espérait la rencontrer.

La chaloupe de pêcheurs, qui avait accompagné le navire depuis son apparition sur la côte opposée, touchait au rivage, non loin de Santa-Cruz. De cette barque s’élançait à terre le grand jeune homme qui avait servi de pilote au bâtiment. Coupant au plus court à travers l’île pour retourner à son village de Lagens, le pêcheur marchait à grands pas. Malgré l’obscurité, il arpentait à larges enjambées les sentiers sinueux et inégaux. Quand il fut à la hauteur de la petite maison habitée par la vieille Josefa, le jeune homme s’arrêta un instant comme pour réfléchir, puis il prit à travers champs. Arrivant par le jardin derrière la cabane, il frappa un petit coup sur le volet.

— Qui va là ? demanda la vieille.

— C’est moi, c’est Diogo, répondit le pêcheur.

— D’où viens-tu, mon garçon ? Que me veux-tu à cette heure ?… Il est bientôt minuit.

— Je viens de piloter un navire, et je retourne à Lagens. Ah ! j’ai gagné une bonne journée !… Si j’avais souvent des navires à conduire comme celui-là, ma fortune serait bientôt faite… Où est donc la Branca, mère Josefa ? Elle ne vient point me dire bonsoir ! Ouvrez-moi la porte, je vous en prie, et allumez votre lampe… J’ai quelque chose à vous montrer… Demain je n’aurai pas le temps de revenir.

La vieille eût bien volontiers refermé le volet et renvoyé à un autre jour l’importun Diogo ; mais celui-ci lui avait rendu plusieurs fois de petits services : il venait au printemps bêcher son enclos, et maintenant qu’elle était seule, n’aurait-elle pas plus qu’auparavant l’occasion de recourir à sa complaisance ? Elle alluma donc sa lampe et ouvrit la porte.

— Merci, mère Josefa, dit Diogo en entrant. Tenez, voilà un beau petit châle de crêpe de Chine qui m’a été donné par le capitaine du navire, sans compter une forte rétribution en argent… Mais où est donc Manoela ?

— Elle est partie, elle est à Santa-Cruz… Tu disais donc que ce châle de crêpe de Chine ?…

Diogo replia le châle de crêpe de Chine et le remit dans sa poche ; puis, croisant ses bras robustes sur sa poitrine, il regarda fixement Josefa : — Manoela est à Santa-Cruz ! Elle est partie !… La vérité, dites-moi la vérité : où est Manoela ?

— Partie, répéta la duègne un peu effrayée, partie avec les dames qui sont sur le navire, et qui l’ont prise en affection. Son sort est assuré, mon garçon, et moi, j’ai fait aussi une bonne journée.

— Elle est partie ! s’écria Diogo, que les sanglots étouffaient, et