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et le caban couvrait toujours ses épaules. Enfin, au moment où il abaissait sa voile, au moment où la proue touchait le sable, Diogo, se redressant de toute sa hauteur, cria à un gros pêcheur de ses amis : Holà ! Pero, hale le canot au plein !

La Branca avait déjà sauté à terre ; Pero, très troublé de s’entendre appeler par son nom, s’enfuit de toutes ses forces à la vue de la bête blanche qu’il crut revenir du sabbat. Diogo fut obligé de prendre pied lui-même pour attirer la barque hors des atteintes du flot ; alors Manoela put descendre, et les visages terrifiés des spectateurs reprirent leur sérénité en reconnaissant la belle fille que l’on appelait à Santa-Cruz, comme à Lagens, la perle de l’île.

Sans s’arrêter à la ville, Diogo et Manoela se dirigèrent vers la seule maison où l’on connût le mot de cette énigme. Ils attachèrent la Branca par une de ses cornes pour l’empêcher de se jeter à travers champs, car la pauvre bête avait si grand’faim qu’elle eût tout ravagé le long de la route. Quand la maisonnette de la vieille Josefa se montra au milieu de la vallée, Diogo s’arrêta et dit à sa compagne :

— Tu es émue, Manoela ; veux-tu que j’aille seul en avant ?

— Pourquoi donc est-ce avec des larmes que l’on revoit les lieux que l’on a quittés en pleurant ! s’écria la jeune fille. Je me sens pourtant aussi heureuse aujourd’hui que j’étais désolée hier !…

— Ah ! c’est que les femmes pleurent toujours ;… il paraît que cela leur va bien, répondit le pêcheur. Puis, faisant quelques pas en avant : — Eh ! mère Josefa, où êtes-vous ? Nous voilà tous les trois !…

La vieille ouvrit sa porte lentement et avança la tête : — Qui est là ? demanda-t-elle… Ah ! c’est toi, Diogo… Je suis bien malade depuis la scène que tu es venu me faire cette nuit…

— Voilà qui va vous guérir, répliqua le pêcheur ; tenez, reconnaissez-vous votre fille et la Branca, qui donne des coups de tête pour courir en avant.

— Ah ! oui, te voilà, Manoela ; on t’a donc laissée revenir ?… Diogo était comme un furieux cette nuit…

— Eh bien ! mère Josefa, continua le pêcheur, est-ce que ça ne vous fait pas du bien de revoir Manoela et de l’embrasser ? Voyons, ouvrez-lui donc vos bras !…

La vieille ouvrit ses longs bras maigres, et sa fille s’y précipita avec l’élan d’une tendresse exaltée. Tout en prodiguant à sa mère les plus vives caresses, Manoela lui glissa dans la main les pièces d’or rapportées par elle, en lui disant à l’oreille : — Elles me les ont rendues, reprenez-les !…

— Ah ! ma fille, ma chère fille, s’écria la duègne subitement rétablie,