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tueusement il porta à ses lèvres la main du comte; mais en rendant ce témoignage de respect et d’affection au fils de ses maîtres, sa figure n’exprimait que de nobles sentimens. Cet hommage naïf formulait dans sa plus simple expression un dévouement transmis depuis des siècles de génération en génération; c’était en un mot comme une page de la vie féodale oubliée dans le livre de la vie démocratique.

— Monsieur le comte est si bon pour moi aujourd’hui, qu’il ne me refusera pas sans doute une faveur que je le prie instamment de m’accorder, reprit Laverdure,

— Laquelle, mon bonhomme?

— Celle de l’accompagner pendant la chasse.

— Et pourquoi faire? répliqua Marmande, visiblement contrarié de cette demande; je compte à peine chasser, je ne prendrai même pas de second fusil.

— Il y a si longtemps que monsieur le comte n’a manié des armes, qu’il doit avoir perdu toute habitude, répondit Laverdure d’une voix qui trahissait de paternelles sollicitudes.

— Mais qui conduira la battue?

— Chalons, qui connaît la terre aussi bien que moi, mieux que moi, car il a meilleur pied et meilleur œil.

— Tu sais que tu es le maître ici, mon ancien, et que je n’ai pas l’habitude de rien faire contre ta volonté; accompagne-moi donc, si le cœur t’en dit, poursuivit le comte en homme qui se résigne philosophiquement à ce qu’il ne peut empêcher. Seulement, comme prix de mon obéissance, tu me feras l’amitié de me dire pourquoi tu es entré hier dans le salon comme une avalanche en m’annonçant que Léda avait été empoisonnée, comme si cela était probable, comme si cela était possible !

— Aussi vrai qu’il y a un Dieu, Léda est morte empoisonnée, répéta le garde, dont la figure se rembrunit soudain au souvenir de l’agonie du fidèle animal.

— Tu es fou,... archi-fou, il y a longtemps que je le sais. Qui diable prendrait plaisir à tuer tes chiens?... Quoi qu’il en soit, le fait est que Léda est morte, et que je m’en afflige d’autant plus que par goût comme par le conseil des médecins je suis disposé à redevenir un intrépide chasseur. L’on m’a parlé d’une fine portée de Léda par Démon, le plus pur sang de ce fameux chien de Henri IV, dont tu ne me parles plus, et je m’en afflige. Il faut que tu me choisisses parmi les petits un couple que tu me façonneras pour septembre prochain, car il n’y a décidément pour chasser en France rien de tel que les chiens français, ajouta le comte, qui semblait prendre à tâche de caresser toutes les faiblesses de son vieux servi-