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Lorsque survint la révolution de février, le colon exhalait son dernier cri ; mais, par un de ces retours offensifs qu’inspirent souvent les grands désespoirs, ce cri suprême était un cri de guerre et presque de victoire. Les colons demandaient au gouvernement d’en finir au plus tôt avec l’esclavage en leur payant indemnité. Or, comme cette indemnité avait été fixée à un chiffre élevé par la haute commission sur laquelle on s’était dès longtemps déchargé de l’étude de cette grosse affaire, le gouvernement se prenait à reculer, « Sur la question de l’esclavage, défendez-vous comme vous pourrez, car vous n’aurez jamais l’indemnité, » disait un ministre puissant à un publiciste du temps qui prétendait se faire à la fois l’organe du ministère et du parti des colons. Le débat entrait, on le voit, dans une phase nouvelle et vraiment curieuse, lorsque du jour au lendemain, hommes et choses, polémistes et polémiques furent tout à coup dispersés par le même souffle.

Le gouvernement improvisé de février se trouva en présence d’un élément tellement incompatible avec son essence, qu’il dut consacrer l’un de ses premiers soins à le faire disparaître. Posée en principe par le décret du 4 mars 1848, l’abolition de l’esclavage aux colonies françaises fut édictée par celui du 27 avril de la même année, qui parut accompagné d’une série d’actes complémentaires dont bien peu ont reçu leur application. L’indemnité au capital de 126 millions de francs fut votée le 30 avril de l’année suivante. Il faut être juste, même envers les gouvernemens déchus : au lendemain de la révolution de février, il n’y avait pas lieu de différer d’un seul jour la suppression de l’esclavage. Si l’indemnité allouée était insuffisante comparativement au dommage subi, elle ne mérite point la qualification de dérisoire que lui donnent parfois les intéressés[1] ; enfin cette mesure, par le caractère d’humanité et de conciliation qui présida au vote, fut comme une trêve pour les partis, qu’elle rapprocha un moment au nom de l’équité. Pourquoi faut-il cependant

  1. La moyenne générale de l’indemnité par tête de noir ressort à 530 fr. pour nos quatre colonies à cultures, soit 430 fr. 47 c. pour la Martinique, 470 fr. 20 c. pour la Guadeloupe, 618 fr. 73 c. pour la Guyane, et 705 fr. 38 c. pour la Réunion. La moyenne générale des colonies anglaises était ressortie à 635 fr. 61 c., mais elle avait été payée intégralement en numéraire. De plus, par une sorte de complément de l’allocation directe, un très haut prix fut pendant une certaine période systématiquement assuré au sucre des possessions anglaises sur le marché de la métropole. L’indemnité française se composa seulement de 6 millions en numéraire et de 120 millions en rente 5 pour 100, réduite peu après à 4 1/2, et dans les années qui suivirent immédiatement l’abolition, le prix de la denrée ne fut presque nulle part rémunérateur pour nos lies. On peut voir les élémens comparatifs de ces moyennes dans la Revue coloniale (tome XIII de la 2e série, p. 521), recueil de documens précieux que l’administration centrale des colonies publié depuis 1843 avec un soin et une persévérance dont doivent lui savoir gré toutes les personnes qui s’occupent de ces matières.