Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/940

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous l’avons cherchée avec l’ardeur et l’opiniâtreté de la passion, et nous avons fini par la découvrir il y a huit ou dix ans. Nous avons rencontré cette clé, si nécessaire et tant désirée, à la bibliothèque de l’Arsenal, à la fin du dernier volume d’un exemplaire du Cyrus, sur une feuille ajoutée, du même format, et même imprimée, mais fort incorrectement, et sur de mauvais papier. Tout annonce que cette pièce sort d’une presse particulière, et qu’elle a été exécutée par une main novice. En voici le titre : Clef de l’Art mène ou le Grand Cyrus. À Paris, MDCLVII. Comme cette date de 1657 n’est point celle du Cyrus, qui parut de 1649 à 1654, il est vraisemblable qu’elle marque l’année de la composition de la clé. L’orthographe est du temps, et plusieurs indices, sur lesquels nous ne voulons pas nous arrêter, autorisent parfaitement cette conjecture.

Possédons-nous la clé même, dont parle Tallemant ? Nous l’ignorons ; tout ce que nous pouvons affirmer, c’est que notre clé ne peut être de Mlle de Scudéry, car d’une part elle ne dit rien sur des personnages qui jouent un grand rôle dans le Cyrus, de l’autre elle donne plusieurs indications qui nous semblent bien douteuses, enfin elle omet des rapprochemens importans et certains. L’auteur n’a suivi aucun ordre ; les noms sont mis les uns après les autres, au hasard, et dans une confusion désagréable. Il est à remarquer que c’est surtout pour le monde de la haute aristocratie que la clé fait souvent défaut, tandis qu’elle abonde en renseignemens curieux sur la société d’un ordre inférieur, et que les personnes de cette société y sont mentionnées avec soin et même avec éloge, ce qui semble trahir une main bourgeoise, celle de quelque habitué de ces assemblées un peu subalternes où Mlle de Scudéry régnait en souveraine.

Mais, s’il est aisé de critiquer la clé que fournit l’exemplaire de l’Arsenal, il eût été absolument impossible de s’en passer, nous le savons par expérience. Nous-même, nous l’avons quelquefois redressée, et souvent étendue ; ceux qui, après nous, seraient tentés de s’engager dans un travail semblable pourront à leur tour ajouter à nos humbles découvertes et porter la lumière dans les parties encore obscures du Cyrus. Il ne reste pas moins vrai que la clé tombée entre nos mains est infiniment précieuse. Grâce à elle, on pénètre, on s’oriente dans le Grand Cyrus, et ce livre, jusqu’alors insipide et frivole, prend tout à coup un aspect inattendu, un sérieux et vif intérêt. Il ne s’agit plus de la Perse, de la Cappadoce, de l’Arménie, de héros et d’héroïnes fantastiques ; il s’agit de la France à la plus belle époque de ses annales, il s’agit de son plus grand capitaine et de ses dignes compagnons, d’une femme illustre, l’idole de son temps, de femmes aimables et spirituelles, la parure de la société française ; il s’agit de tant de personnages différens qui, chacun dans son ordre et à son poste, ont honoré et servi la patrie,