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ÉTUDE D’HISTOIRE PRIMITIVE.

sans difficulté à quelqu’un des géans qui avaient dominé sur la terre. Comment en effet la curiosité se serait-elle éveillée ? Qu’est-ce qu’un os qu’on remue en remuant le sol ? Tous les jours une multitude des habitans de notre planète, hommes, mammifères, oiseaux, poissons, lui rendent leur dépouille ; si leurs ossemens disséminés de toutes parts se résolvent en terreau, qui empêche que çà et là quelques-uns échappent à la dissolution et viennent de temps en temps rouler sous nos pieds ? Sans doute ; mais lorsque l’œil fut devenu habile à regarder, ce qui avait semblé uniforme se caractérisa par des différences essentielles, et tout un monde étrange et réel apparut dans la longue perspective des âges primordiaux.

Les gisemens aussi, à qui aurait su voir, n’étaient pas moins distincts que la structure. Rien dans l’arrangement n’était fortuit. Chaque espèce d’os affectait un ou plusieurs terrains particuliers ; point d’interversion, point d’irrégularité, et, dans une certaine limite, les os caractérisaient les terrains, et les terrains caractérisaient les os. Mais qui pouvait songer à discerner, dans cet amas confus de pierres et de terres, des étages symétriquement disposés ? Comme un architecte habile qui forme en assises les matériaux de l’édifice à construire, la pesanteur, la chaleur, l’action des eaux, en un mot toutes les forces qui président aux particules de la matière ont écarté de leur travail séculaire le hasard, et les couches de la terre se montrent arrangées comme il convient aux puissances qui les régissent. À leur tour, ces couches ainsi déterminées ont eu, au fur et à mesure qu’elles furent éclairées par le soleil, leurs propriétés spéciales pour l’entretien de la vie, et chaque étage, avant de devenir souterrain, a nourri des plantes et des animaux qui n’étaient faits que pour lui.

Il fallait beaucoup savoir pour s’intéresser à ce que la pioche découvrait en creusant la terre. Et d’abord les mathématiques devaient avoir acquis une grande consistance et habitué l’esprit à prendre confiance dans le résultat des spéculations abstraites. Sans les mathématiques, sans leur essor préliminaire, la porte restait inexorablement fermée. Encore que ne paraisse aucun lien entre Cuvier, qui, arrivé à temps et à point, exhuma les générations éteintes, et Archimède ou Euclide, qui méditèrent fructueusement sur les propriétés géométriques des courbes, il n’en est pas moins certain que, si ceux-ci et leurs nombreux et illustres successeurs n’avaient pas trouvé l’enchaînement du vrai dans les nombres et dans les formes, celui-là n’aurait jamais trouvé l’enchaînement du vrai entre les genres disparus et les genres existans.

Le premier résultat de ces recherches tout abstraites et tout éloignées, ce semblait, d’applications si considérables, fut quand les