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— Il ne me plaît pas beaucoup, ton Anglais ; il paraît froid comme un marbre.

— Ne prends pas garde à cela ; c’est un swedenborgien qui s’entretient tous les jours avec les esprits supérieurs. Sais-tu qu’il t’a trouvée belle ?

— C’est beaucoup de bonté… Quel jour doit-il prêcher ?

— Quand il sera guéri, dans une dizaine de jours. Il faut que je l’annonce dans mon journal.

— Je voudrais l’entendre.

— C’est facile. Son premier sermon, qui est un spécimen de sa doctrine, doit être prêché devant toutes les congrégations réunies. Mais le signor Carlino Bodini te refusera l’absolution.

— Je m’en moque ; avec des confitures et des dragées, je fais de lui ce que je veux.

— Je ne sais pourquoi ce petit abbé ne me plaît pas, et sans l’aversion que j’ai pour le pédantisme des ministres protestans, je voudrais te voir changer de religion.

— Quelle impiété dis-tu là, Paul ?

— Ou au moins de confesseur.

— Bah ! il m’amuse ; il est doux, persuasif, commode, serviable ; il a toujours le mot pour rire. Il m’est aussi nécessaire que mes gants et mon manchon.

— Il est trop souple. Je n’aime pas ce petit prêtre qui fait des vers italiens à ta louange. Il est musqué et pommadé comme un coiffeur.

— Jaloux !

— Moi ! que le ciel me préserve des petites grâces dont il l’a comblé ! mais je crains qu’il ne te prévienne contre moi.

— C’est pour le salut de mon âme. Il veut me retirer d’une vie de désordre. Va, tu sais bien que je t’aime et t’aimerai toujours.

Le lendemain, Acacia sortit pour aller à ses affaires. Julia, restée seule, reçut la lettre suivante :

« Un ami de miss Alvarez se fait un devoir de la prévenir du prochain mariage de miss Lucy Anderson avec M. Acacia. Le voyage de Louisville n’avait pas d’autre but que l’achat des présens de noces. Miss Alvarez pourra s’en convaincre en voyant au cou de miss Anderson un collier de perles de deux mille dollars qu’elle a reçu hier de son fiancé. »

La première pensée de Julia fut de poignarder son amant : la seconde fut de pleurer. Le signor Carlino Bodini se fit annoncer, et fut très mal reçu. Le pauvre abbé, qui venait prendre tranquillement son chocolat, fut effrayé de la colère et des larmes de sa belle protectrice.

— Lisez, dit-elle sans répondre à ses complimens, et voyez sa perfidie.