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fût le chemin, le ciel était le but commun de tous les chrétiens, et il osait espérer que miss Deborah et miss Lucy lui sauraient gré de leur donner occasion de montrer ces vertus aimables qui sont le plus bel attribut des femmes. Il termina par quelques flatteries italiennes qui ne firent pas grand effet sur la jeune sœur, mais qui adoucirent visiblement le regard sévère de Deborah. La pauvre fille n’était pas habituée à entendre l’éloge de sa beauté, et l’hyperbole de Carlino lui parut la vérité même, — peu convenable sans doute dans la bouche d’un prêtre ; mais ce prêtre était catholique, c’est-à-dire peu scrupuleux, suivant les idées de Deborah. Il est si doux d’être admiré, même quand on méprise l’admirateur.

— Monsieur, dit-elle avec une condescendance mêlée de raideur, la bourse d’un chrétien est à tous ceux qui souffrent. Ces sentimens sont ceux de tous nos frères méthodistes aussi bien que les nôtres. Je vous remercie d’être venu à nous.

Elle donna dix dollars, et Lucy autant. Carlino les remercia avec une politesse exquise.

— Vous avez là, dit-il, une bien belle Bible.

— C’est un présent que M. Acacia m’a fait hier, dit Deborah.

— Est-ce que miss Lucy serait moins zélée méthodiste que vous ? demanda l’Italien. Je ne vois pas la sienne. Combien je serais heureux qu’elle voulût reconnaître l’erreur où vous vivez et embrasser la religion catholique ! Vous seriez l’ornement de ma petite église.

— Ne prenez pas feu si vile, dit Deborah. Lucy n’a pas moins de zèle que moi pour la vraie foi ; mais notre ami Acacia lui a fait présent d’une parure mieux assortie à son âge et à ses goûts un peu profanes. Il lui a donné un très beau collier de perles.

— Excusez mon indiscrète curiosité, dit l’Italien en se levant, et il courut chez miss Alvarez pour lui rendre compte de sa mission.

— Hélas ! dit Julia, tout est perdu, mon cher abbé. Paul ne m’aime plus. Il est entiché de cette horrible blonde aux yeux bleus qui chante des psaumes le dimanche. Comment peut-on regarder une blonde ? Et quelle blonde ! Avec un peu d’effort, on la trouverait rousse. Elle chante faux, elle s’habille mal, elle n’a pas le sens commun, elle est ennuyeuse comme la vertu. Carlino, mon cher Carlino, ne pourriez-vous pas dire des messes pour que la sainte Vierge me fit la grâce de le dégoûter des blondes et des hérétiques ?

— Oui, dit l’abbé, deux douzaines de messes et quelques neuvaines seraient bien placées là ; mais, croyez-moi, miss Alvarez, le plus sûr est d’épouser. Dieu maudit les unions illégitimes.

— Il est trop tard, dit-elle avec désespoir.

Le soir. Acacia revint tout joyeux. Son journal venait de paraître, et annonçait le prochain sermon de John Lewis. Le lecteur nous saura gré de lui donner cette pièce d’éloquence :