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joues roses, n’a-t-il pas sommeillé sur mon sein à cette même place! Je le berçais dans mes bras, je l’enveloppais avec soin quand l’âpre haleine de la nuit soufflait dans ces galeries, j’écartais les mouches de son visage, et si je le voyais tourmenté de mauvais rêves, je l’éveillais. Et maintenant,... maintenant, je suis là auprès de lui, menaçante, le bras levé, l’âme acérée comme un glaive, et prête à le retrancher,... hélas! dans toute la force de la jeunesse,... prête à le retrancher de l’arbre de la vie comme une branche desséchée. La bête fauve de la forêt combat pour ses petits, la branche du rosier souffre quand on lui arrache une fleur, et moi, je veux tuer mon enfant; moi, sa mère, je veux le tuer pendant qu’il dort de ce tranquille sommeil! (se précipitant sur le devant de la scène.) Non, dieux justes ! rendez-moi ma parole, je ne puis la tenir, rendez-moi ma parole! je ne puis prendre sa vie à celui qui l’a reçue de moi, je ne puis tuer, tuer celui qu’il faut que j’aime! (Après une pause et en se rapprochant du gladiateur endormi :) Esprit troublé, où t’égares-tu ainsi? Est-ce que je ne veux pas aujourd’hui, ô mon enfant, ce que je voulais autrefois, te préserver de l’âpre froid de la vie, t’éveiller des sombres rêves de l’existence, te mettre à l’abri des mille piqûres de la souffrance auxquelles les plus heureux même n’échappent pas? Que veux-je autre chose encore, sinon t’empêcher de recevoir le coup de mort des viles mains de l’égorgeur? Non, Sigmar, non! Si cette main en tremblant (Elle saisit l’épée placée au pied du lit) t’enfonce l’acier dans le cœur, ce n’est pas la haine qui la conduit, non, c’est l’amour; l’amour qui ne s’inquiète pas de l’amertume du breuvage, quand le breuvage doit sauver le malade. Ainsi... (elle se prépare à frapper; mais elle recule tout à coup en chancelant, et laisse tomber l’épée.) Ah! je voudrais en vain, je ne puis!... (Elle tombe à genoux; on entend dans le lointain une musique de fête, une marche joyeuse qui s’approche peu à peu.) Dieux éternels ! si vous exigez sa vie pour le salut de l’Allemagne, prenez-la vous-même ! Transformez en poison l’air qu’il respire, ébranlez la terre pour que ces murailles s’écroulent et nous ensevelissent, anéantissez-nous d’un coup de foudre! Vous avez la puissance, c’est à vous d’achever l’œuvre! Mais ne placez pas sa destinée dans mes mains, ne demandez pas à la mère le sang de son fils!... (Elle entend le son de la musique, et se relève subitement.) Qu’est-ce que cela?... Écoutons!... Si mon oreille ne me trompe pas... Non! c’est la vérité!... Le bruit approche, il approche encore... C’est la musique du cortège! c’est Caligula! Ils viennent le chercher... Déjà les flots du peuple mugissent dans le cirque, Rome appelle à grands cris son gladiateur... Vous ne l’aurez pas! Je ne suis qu’une femme, faible, sans appui, mais je ne vous le donnerai pas! Essayez, arrachez-le-moi! (Elle saisit l’épée.) O vous, là-haut, maîtres des cieux, puisque vous ne faites pas usage de votre foudre, c’est moi qui garderai l’honneur de l’Allemagne! Et vous, jouez votre musique, poussez vos cris de victoire! Autour de mes tempes je sens frémir ma couronne de chêne; je suis la femme d’Armin, je suis Allemande, je l’étais avant d’être mère! Vous demandez Thumélicus le gladiateur! Mon fils s’appelle Sigmar (s’élançant vers Thumélicus), et mon fils restera mon fils. Avec ce coup, je brise ses chaînes. (Elle le perce de l’épée.)

« THUMELICUS, se dressant et criant : Malheur à moi….. ! Kéyx….. Ma mère….. (Il retombe et meurt.)


Le sacrifice accompli, Thusnelda, de sa main gauche, relève sur