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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/215

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est préférable pour elle comme pour la France d’obtenir par un traité l’ouverture régulière des ports et des fleuves chinois sous l’autorité de la police locale et sous la protection des consuls, plutôt que de fonder des établissemens sur le continent. L’occupation de l’archipel Chusan ou des îles de Formose et de Haïnan soulèverait moins d’objections, car il serait possible de s’installer dans ces îles avec des moyens certains de défense. Les Anglais ont déjà apprécié la situation avantageuse de Chusan, qu’ils ont détenu, à titre de gage, de 1842 à 1847 : quant aux îles de Formose et de Haïnan, on ne connaît pas encore suffisamment les ressources qu’elles offriraient à la colonisation européenne.

Les côtes de la Corée ont été pendant ces dernières années visitées par les bâtimens de l’escadre française. On a pu lire récemment une intéressante narration de la croisière entreprise dans ces parages par M. L’amiral Guérin, et une appréciation très compétente des ports et havres qui dessinent le littoral de la presqu’île[1]. La situation géographique de la Corée serait évidemment très favorable pour un établissement. On y aurait le double voisinage de la Chine et du Japon; les ports seraient facilement accessibles aux navires baleiniers que la pêche attire en grand nombre vers l’extrémité nord- ouest de l’Océan-Pacifique; le climat passe pour être salubre, le sol fertile; enfin, protégée de trois côtés par la mer, la colonie jouirait d’une sécurité à peu près complète; les possessions russes, bornées par le fleuve Amour, sont à une distance de 10 degrés environ du nord de la Corée. Il est à présumer que l’attention des amiraux commandant la station française en Chine a été particulièrement attirée vers ce pays pour le cas où l’on se déciderait à occuper un territoire dans les mers de Chine : de leur côté, les missionnaires catholiques nous verraient avec une vive satisfaction solidement établis sur un point où ils comptent déjà quelques milliers de prosélytes.

Si l’on avait la pensée de fonder un établissement en Cochinchine, le gouvernement aurait à rappeler d’anciens griefs ; il pourrait même, assure-t-on, invoquer les termes d’un traité qui aurait, en 1787, cédé à Louis XVI le port de Touranne. Il est très difficile d’apprécier les conditions de ce traité, dont je ne sache pas qu’on ait publié le texte. La convention de 1787 est-elle encore valable? La France a-t-elle rempli en temps utile les obligations qu’elle contractait envers le gouvernement cochinchinois pour prix des avantages qui lui étaient conférés ? C’est ce qu’il faudrait examiner, si l’on plaçait la discussion sur ce terrain diplomatique. Dans tous les cas, la simple occupation de Touranne n’aurait qu’un bien médiocre intérêt. La baie offre aux navires un excellent abri, mais elle est parsemée de bas-fonds, et les bâtimens d’un certain tonnage sont obligés de mouiller loin de la ville. La ville elle-même n’est qu’une affreuse bourgade composée de cabanes, pauvrement peuplée, sans industrie, sans ressources d’aucun genre. Le fleuve que plusieurs géographes font déboucher dans la rade n’est qu’un étroit ruisseau, navigable seulement pour les plus légères barques. C’est en dehors de la baie, plus au nord, que se jette dans la mer la rivière par

  1. Voyez, dans la Revue du 15 janvier 1858, la Chine à la veille d’une révolution; souvenirs d’une croisière dans les mers de Tartarie, de Chine et du Japon.