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Les missionnaires, ou, pour parler plus exactement, certains missionnaires appellent de tous leurs vœux l’intervention armée de la France dans l’empire d’Anam. Témoins des persécutions qui frappent à coups redoublés les chrétiens indigènes, convaincus que la force est désormais l’unique moyen de sauver leur église naissante, ils n’hésitent plus à conseiller la guerre sainte. Ce n’est point, je le sais, un sentiment de vengeance qui inspire cette politique violente; les missionnaires acceptent pour eux-mêmes les fatigues et les périls de l’apostolat, volontiers ils bravent le martyre : ils demandent seulement que la France défende en Cochinchine, au profit de toute une population indignement opprimée, le principe de la liberté de conscience et de la tolérance religieuse. Mais, quelle que soit la pureté des intentions, il convient peu à des missionnaires, à des hommes de paix, de se constituer les avocats de la guerre, et, si l’on examinait la question d’après les règles du droit strict, on pourrait ne pas admettre la justesse de leurs argumens. Dès son avènement au trône (1820), l’empereur Ming-mang a déclaré que l’accès de ses états, à l’exception du port de Touranne, demeurait fermé aux Européens; il a particulièrement interdit l’entrée des missionnaires catholiques, et il a proscrit la religion chrétienne. Ses successeurs ont adopté les mêmes mesures, sanctionnées par les pénalités les plus sévères. C’est à la crainte d’une invasion européenne, non au fanatisme religieux, qu’il faut attribuer la politique exclusive des souverains de la Cochinchine. Quoi qu’il en soit, en défendant la pratique de tel ou tel culte importé de l’étranger, ils ont exercé un droit incontestable. A diverses reprises, notamment en 1843 et en 1845, lorsque des prêtres français, arrêtés à l’intérieur du pays, ont été remis aux commandans de l’Héroïne et de l’Alcmène, les mandarins ont eu soin de rappeler par écrit, et dans les termes les moins équivoques, les dispositions de la loi cochinchinoise relatives au christianisme et aux Européens. Les missionnaires ont persisté à violer cette loi formelle; à peine délivrés, ils se sont empressés de rentrer clandestinement dans leurs diocèses. Qui oserait blâmer cet intrépide courage de leur foi? D’un autre côté, il faut bien reconnaître que le gouvernement de la Cochinchine a quelque droit d’être irrité par cette désobéissance obstinée qui dédaigne ses avis et insulte à ses ordres. Les chrétiens indigènes et les prêtres étrangers ne sauraient prétendre en Cochinchine à la protection qui leur est assurée en Chine aux termes de l’édit de 1845. L’empereur de Chine a pris envers la France l’engagement de tolérer dans ses états la pratique du christianisme, de remettre aux consuls les missionnaires européens qui seraient surpris dans les provinces, tandis que les souverains de l’empire d’Anam ont, depuis la mort de Gya-long, constamment refusé de s’entendre avec les puissances européennes; ils n’ont fait aucune concession ni souscrit aucun engagement. Il en résulte que le moindre acte de persécution religieuse commis en Chine, même à l’égard d’un Chinois, et, à plus forte raison, la plus légère peine infligée à l’un de nos missionnaires, donne à la France le droit de protester et de demander satisfaction, tandis qu’en Cochinchine nous ne sommes munis d’aucun titre légal pour prévenir ou réprimer les plus cruelles persécutions, et que si nous avons incontestablement le droit de demander compte du sang de nos missionnaires cruelle-