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tions. Chose plus curieuse, c’est lord Palmerston, le ministre préféré du patriotisme britannique, l’homme du civis romanus, qui tombe sous le soupçon de n’avoir pas suffisamment pourvu à l’honneur de l’Angleterre, et c’est M. Milner Gibson, le représentant de l’école de Manchester, le partisan de la paix, qui est dans le parlement le belliqueux promoteur des hostilités contre le cabinet ! C’est lord Palmerston, le ministre si souvent accusé de vouloir déchaîner les tempêtes révolutionnaires sur l’Europe, qui échoue en soutenant une mesure d’un caractère évidemment conservateur, et ce sont les tories qui contribuent à sa chute, qui recueillent le pouvoir de ses mains ! Tel est parfois le jeu bizarre des événemens.

La crise ministérielle qui vient de se dénouer à Londres avec une certaine promptitude par l’arrivée des tories au pouvoir est donc aujourd’hui l’un des principaux événemens, et elle domine la situation de l’Angleterre, en même temps qu’elle intéresse sa politique extérieure. Cette crise a été peut-être un peu imprévue sur le continent pour plusieurs causes, dont la principale était que le bill présenté par lord Palmerston avait traversé sans encombre les difficultés d’une première lecture ; il avait même obtenu une assez forte majorité relative. Et cependant, même après ce premier succès, à considérer de près le mouvement de l’opinion et les allures des partis, peut-être n’était-il pas impossible d’apercevoir des symptômes assez menaçans, des signes de lutte et d’orage prochain. D’abord les radicaux s’étaient prononcés ouvertement, violemment, contre le principe du bill. Lord John Russell lui-même, bien que dans la mesure de modération qui appartient à un homme d’état, s’était rallié à cette opinion tranchée. Les peelites observaient une certaine réserve. Les tories, de leur côté, par l’organe de M. Disraeli, manœuvraient visiblement de façon à ne point s’engager avant d’avoir sondé le terrain. Ils ne combattaient pas la mesure dans son principe, ils se réservaient de montrer dans les détails qu’elle n’était satisfaisante pour aucun intérêt. Il y avait là tous les élémens d’une coalition parlementaire qui, appuyée sur l’opinion extérieure, se présentait avec quelques chances de succès.

Le difficile était de concilier des hostilités, des vues d’une nature fort diverse, de frapper sûrement le chef du cabinet dans sa politique, sans atteindre du même coup l’alliance avec la France. C’est M. Milner Gibson qui, par sa motion, au moment de la seconde lecture du bill, a donné le signal de cette campagne, fatale à la fortune ministérielle de lord Palmerston. Cette motion, habilement combinée, n’était point une tentative directe contre le bill : elle contenait un témoignage de la répulsion profonde inspirée par le récent attentat ourdi en Angleterre ; elle déclarait que la chambre des communes était prête à concourir à une réforme de la loi criminelle, si elle était jugée nécessaire, et en même temps elle exprimait le regret que le cabinet, avant de présenter son projet, n’eût pas cru devoir répondre à la dépêche reçue du gouvernement français et soumise au parlement. Pour tout dire sur ce point, il n’y a eu ni une parfaite exactitude ni une parfaite justice dans quelques-uns des griefs qui se sont produits, attendu que la dépêche de M. le comte Walewski n’incriminait nullement, comme on l’a dit, le gouvernement ou le peuple anglais ; elle mettait uniquement en cause les réfugiés qui abusent de l’hospi-