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avec des précautions qui excluaient l’intimité et des exigences qui annonçaient la jalousie. Lorsque François Ier allait dîner chez la reine Catherine à Guines, Henri VIII venait dîner chez la reine Claude à Ardres. Les deux rois se servaient ainsi d’otages l’un à l’autre[1], et se gardaient en quelque sorte chez eux, comme s’ils avaient été en face d’ennemis. Cette attitude soupçonneuse et ces démarches craintives ne convenaient pas plus aux vues politiques qu’au caractère confiant de François Ier. Un jour, voulant rompre cette barrière de cérémonies et de défiances, il se leva plus matin qu’il n’avait coutume de le faire, prit avec lui deux gentilshommes et un page, et simplement vêtu d’une cape à l’espagnole, il sortit d’Ardres pour aller surprendre le roi d’Angleterre dans Guines. Deux cents archers et le gouverneur du château étaient sur le pont-levis lorsqu’il y arriva. A la vue du roi de France venant à pareille heure, en si petite compagnie, se mettre ainsi entre leurs mains, ils furent ébahis. François Ier traversa leurs rangs avec un visage ouvert et riant, et, comme s’il prenait la forteresse d’assaut, il les somma gaiement de se rendre à lui. Le roi d’Angleterre dormait encore. François Ier alla droit à sa chambre, qu’il se fit indiquer par le gouverneur, heurta à la porte, éveilla Henri VIII, qui, en l’apercevant, fut encore plus émerveillé que ne l’avaient été ses archers, et lui dit sur-le-champ avec non moins de cordialité que de bonne grâce : « Mon frère, vous m’avez fait le meilleur tour que jamais homme fit à un autre, et me montrez la fiance que je dois avoir en vous. Dès cette heure, je suis votre prisonnier et vous baille ma foi[2]. » Il détacha en même temps de son cou un beau collier, et pria le roi de France de le porter ce jour-là pour l’amour de son prisonnier. François Ier alla encore plus loin dans ses démonstrations. Il avait un bracelet qui valait le double du collier, et, le mettant au bras d’Henri VIII, il lui demanda de le porter aussi pour l’amour de lui, et il ajouta qu’il voulait être ce jour-là le valet de chambre de son prisonnier. Le roi de France donna en effet la chemise au roi d’Angleterre. Le lendemain Henri VIII, imitant la confiance de François Ier, se rendit à Ardres fort peu accompagné, et il y eut entre eux un nouvel échange de présens et de courtoisies.

Cette émulation d’amitié fut suivie d’une rivalité d’adresse dans les tournois et les jeux que les deux rois donnèrent à leurs cours. De vastes lices que terminaient des barrières fortifiées pour les gardes de chaque prince, et que bordaient d’élégans échafauds dressés pour les reines et pour les dames, avaient été préparées dans

  1. Mémoires de Fleurange, p. 349.
  2. Ibid., p. 349-350.