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Celui-ci n’avait pas perdu de temps. Dès le matin, ses émissaires parcouraient les campagnes voisines, répandant ses proclamations et ameutant tous les fermiers du comté. Le rendez-vous général était à Oaksburgh. En quelques heures le bruit courut partout qu’on avait rencontré un abolitioniste anglais porteur de pamphlets incendiaires, et que ce misérable, agent de lord Palmerston et de la perfide Angleterre, était le chef d’un complot organisé par les nègres pour regorgement des blancs. Plusieurs milliers d’hommes, armés de haches, de carabines et de revolvers, se précipitèrent dans Oaksburgh, entraînant tout sur leur passage.

Dès qu’ils furent arrivés, sans leur laisser le temps de se reconnaître, Craig, qui était capitaine de la compagnie de milice des vétérans de la liberté, réunit cette compagnie, mit en tête une demi-douzaine de tambours, et marcha droit à l’imprimerie du Semi-Weekly Messenger. Une masse considérable de gens, hommes, femmes et enfans, suivait le cortège en criant : À bas les abolitionistes ! à bas l’Anglais ! vive la constitution !

À ce bruit, Lewis, qui travaillait dans les bureaux de l’imprimerie, mit la tête à la fenêtre ; mais il fut accueilli par des cris bien différens de ceux qui l’avaient salué quelques jours auparavant. De toutes parts on cria : À la potence le traître !… Les ouvriers de l’imprimerie s’enfuirent et le laissèrent seul.

Il voulut rester et tenir tête à l’orage. Il ferma solidement la porte extérieure de la maison, et il essaya de parler au peuple, debout sur le bord de la fenêtre.

— Braves Kentuckiens !… dit-il.

Craig ne lui laissa pas le temps de parler. Il ordonna aux tambours de battre un roulement, et la voix de Lewis s’éteignit parmi les ra et les fla. Il se croisa les bras et attendit d’un air dédaigneux que le silence fût rétabli ; mais Craig n’avait garde de perdre le temps en explications inutiles.

— En avant ! dit-il, enfonçons la porte !

Deux ou trois coups de hache mirent en pièces l’un des deux battans, et la foule se précipita par cette ouverture dans l’intérieur de la maison. En quelques secondes, le premier étage fut envahi ; mais Lewis avait disparu. Les assaillans furieux le cherchèrent inutilement dans toute la maison ; ils brisèrent et lancèrent par les fenêtres tous les meubles. Les caractères d’imprimerie suivirent bientôt les meubles, les papiers furent déchirés et brûlés, les registres jetés au vent, et tous ces débris furent précipités dans le ruisseau.

— Où est ce fils de Bélial ? criait Appleton un revolver à la main, je veux lui brûler la cervelle !

— Que fais-tu là ? lui dit Craig. La nuit va venir, et tu perds du