Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous le voyez ; je veux vous tirer d’affaire. C’est miss Lucy qui m’envoie.

— Miss Lucy ! dit l’Anglais. Ah !

Acacia fut surpris de cette apparente indifférence ; mais ce n’était pas le moment de s’expliquer.

— Donnez-moi une bougie, dit-il, une vrille, et le petit baril que vous voyez dans ce coin.

L’Anglais obéit, et alluma la bougie. Acacia parut alors à la fenêtre du premier étage. La foule le regardait avec curiosité. Les cris redoublèrent. Cependant on admirait son courage, et quelques-uns des assistans, moins animés que les autres par l’esprit de parti, auraient voulu le sauver.

— Messieurs et chers compatriotes, dit Acacia, prenez la peine de m’écouter. Je suis bien connu de vous tous.

— À bas l’athée ! dit Toby Benton.

— Maître Toby, reprit le lingot, prenez garde que je ne descende pour vous couper les oreilles.

Cette réponse fit rire la foule, et la disposa favorablement pour l’orateur.

— Vous savez, continua-t-il, que je suis capable de tout, et particulièrement de me faire sauter en l’air avec vous.

Cette menace fit frémir tout le monde.

— Mes caveaux contiennent plus de deux cent mille livres de poudre, qui suffiraient pour faire sauter tout le Kentucky. J’ai du feu. Je suis maître de vous et de moi. Soyez prudens et redoublez d’attention.

— À bas l’abolitioniste ! cria encore Toby Benton.

— Abolitioniste toi-même ! dit Acacia. Je ne le suis pas, et ne le serai jamais. Un de mes amis, un pauvre homme, il faut l’avouer, à qui j’avais laissé le soin de rédiger mon journal, a voulu s’amuser à vos dépens : il s’est dit abolitioniste. C’est faux : c’est une plaisanterie qui n’est pas bonne, j’en conviens, mais qui ne doit pas le faire pendre ni goudronner.

— Je suis abolitioniste et le serai toute ma vie, cria John Lewis par-dessus l’épaule d’Acacia.

Celui-ci se retourna. — Mon cher ami, dit-il, je ne veux pas vous sauver malgré vous. S’il vous plaît de vous jeter à l’eau, faites ; vous êtes libre ; sinon, laissez-moi vous tirer d’un mauvais pas.

— J’aime mieux mourir, reprit Lewis, que de mentir ainsi.

— Eh ! mourez si vous en avez envie, dit le Français impatienté ; je m’en vais.

Lewis lui tendit la main.

— Adieu, ami, dit-il, je vous remercie. Soyez heureux !