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venir en pèlerinage ? Écoutons un instant Mgr  Mislin : « Chacun sait pourquoi et comment les Turcs gardent les saints lieux. Ils pourraient, il est vrai, dévaster l’église du Saint-Sépulcre comme ils ont dévasté mille autres églises de la Palestine : celle-ci leur rapporte immensément ; ils la laissent intacte. Ils n’insultent pas le pèlerin qui vient y faire sa prière, mais ils le rançonnent… Si quelques temples sont encore debout, c’est que leur cupidité est plus grande que leur fanatisme[1]. »

Je sais qu’il y a des gens qui, tout en avouant qu’il y a peu de chances de civiliser la Turquie et de la régénérer, acceptent cet état de choses sans trop de déplaisir. Ils croient que, si on ne peut pas civiliser les Turcs, au moins on peut gagner de l’argent avec eux, et exploiter commodément et sans concurrence les immenses ressources de leur territoire. J’ai lu des journaux allemands qui prétendaient que tel était le plan des Anglais en Turquie, et que c’est pour cela qu’ils soutenaient si ardemment l’empire ottoman. Nous ne croyons pas à ce machiavélisme industriel et commercial. On ne fait même pas de bonnes affaires en Orient. Tout ce qu’on a essayé en ce genre, mines, fonderies, usines, a échoué, parce que le fond du caractère des Turcs est de ne rien faire et de ne pas vouloir qu’on fasse rien auprès d’eux. Lisez dans Mgr  Mislin l’histoire des mines de charbon de terre à Korneil, dans le Liban, qu’un Anglais, M. Brattel, avait voulu exploiter. « Pendant que M. Brattel était au Caire et que son compagnon, dégoûté des nombreuses chicanes qu’on lui avait suscitées, était retourné en Angleterre, un caïmacan turc fut chargé de l’exploitation de la houille. On conçoit sans peine quel fut le résultat de son administration. Ibrahim-Pacha fit venir le caïmacan et lui reprocha durement sa négligence, puis il lui ordonna de livrer autant de charbon qu’avaient fait les Anglais. Le caïmacan descendit pour la première fois dans les souterrains, et, trouvant tout à l’entrée de grands blocs de houille qu’il jugea avoir été oubliés, il commanda aux ouvriers de les enlever aussitôt. C’étaient des piliers de soutènement qu’on avait laissés pour la sûreté des galeries. Ils furent enlevés ; toutes les galeries s’éboulèrent, et le feu prit aux mines. Ainsi furent perdus des travaux de plusieurs années et des sommes considérables[2]. »

Que faire donc des Turcs, si on ne peut pas même, avec eux ou devant eux, exploiter leur pays ? Ici, qu’il me soit permis de présenter une réflexion. Je ne m’adresse plus aux sentimens chrétiens de l’Europe. Je sais gré à Mgr  Mislin de faire appel à ces sentimens,

  1. Tome II, p. 307.
  2. Tome Ier, p. 306.