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Les grossiers instrumens dont se servaient ses pères dans leurs observations ne lui sont munie pas connus de nom, et c’est à quelques secondes près qu’il mesure les hauteurs et les distances des astres qui fixent sa position. En même temps les progrès de l’astronomie ont fait disparaître de ses éphémérides nautiques les nombreuses erreurs que dans le siècle dernier Lacaille lui-même reconnaissait encore comme inévitables. Voilà déjà notre marin rassuré sur ce point capital, la détermination du lieu où se trouve son vaisseau ; l’incertitude à cet égard ne lui sera plus permise que lorsque les circonstances atmosphériques s’opposeront à ses observations, ce qui rarement se produira d’une manière assez persistante pour que l’erreur s’élève à plus d’une quinzaine de lieues. Il s’approchera donc de terre sans crainte, et à cette période délicate de sa traversée des cartes, souvent minutieuses et toujours au moins suffisantes pour les besoins de sa navigation, l’avertiront du voisinage des moindres dangers. Enfin le navire qu’il montera ne sera plus cette masse lourde et informe qui traçait péniblement un sillage paresseux : ce sera, pour me servir d’une belle expression anglaise, a noble ship, un noble vaisseau, obéissant docilement à la volonté qui le dirige, et prêt à braver victorieusement les efforts combinés de la mer et des vents. En un mot, la navigation proprement dite, c’est-à-dire envisagée comme instrument, est aujourd’hui aussi perfectionnée qu’on peut l’espérer d’après les progrès des diverses sciences dont elle dépend. Il faut maintenant rechercher si l’on a employé cet instrument de la manière la plus avantageuse.

II.

L’emploi dont je veux parler est le choix de la route à suivre pour les diverses traversées qui se présentent, et quelques explications feront aisément comprendre l’importance de cette question. Pour se rendre en mer d’un point à un autre, il est extrêmement rare que l’on puisse suivre la ligne directe, dont vous écartent incessamment des vents plus ou moins contraires et les courans. Le plus souvent la distance ainsi parcourue se trouve dépasser considérablement l’intervalle réel qui sépare les deux points, et, vu la marge offerte par l’immensité de l’Océan, vu la facilité avec laquelle le caprice des capitaines, aidé de l’inconstance des vents, peut faire varier à l’infini les sinuosités du trajet, il semblerait qu’il dut y avoir autant de routes distinctes que de navires à les parcourir. C’est pourtant ce qui n’a point lieu, et l’auteur de l’entreprise qui va nous occuper, Maury, dit avec raison qu’il est curieux de voir comment, en mainte occasion, les traditions des navigateurs du xvie et du xviie siècle se sont perpétuées jusqu’à nos