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ses habitudes, jusque dans ses paroles. La jeune fille éprouvait des irritations indicibles que parfois elle se plaisait à montrer. Sûre de n’avoir rien à redouter de sa mère, qui était peu disposée à la tyrannie et qui tolérait, sans les soutenir, les essais despotiques du Castillan, elle avait quelquefois avec ce tuteur illégitime les luttes les plus divertissantes. Quoiqu’elle ne fût point portée à la moquerie, elle trouvait à l’endroit du comte Gil de véritables mots de génie. Jamais aucun journal de Madrid, ni aucun membre des certes n’avait poursuivi Hermosa de railleries plus sanglantes que l’honnête et douce Amicie, quand décidément la colère s’était allumée dans ses jolis yeux. Cosme, qui avait pour l’ami de Mme de Blesmau une très médiocre sympathie, se sentait toujours du parti de la jeune fille dans les débats auxquels il assistait. Il comprenait d’ailleurs, lui qui connaissait si bien le jeu des passions dans son âme, qu’un sentiment nouveau allait disposer de sa vie. Était-il amoureux d’Amicie? C’est pourtant ce qu’il ignorait encore! Il ne pouvait plus se déclarer à lui-même la naissance d’un nouvel amour dans un coin quelconque de son cœur sans une tristesse ou une moquerie également poignantes. Seulement il se disait : En vérité, cette gracieuse enfant m’inspire une fantaisie vertueuse.

Et, comme la lune sortant tout à coup des flancs d’un ciel orageux, la pensée du mariage se dégageait des sombres nuages de son esprit. Il est vrai que c’était alors en cette pauvre âme le signal d’un vrai sabbat. A la mélancolique apparition de l’idée conjugale, c’était sous le cerveau de Cosme une véritable insurrection de spectres. Souvenirs tendres, souvenirs joyeux, tous les fantômes chers à Giuli se révoltaient contre la lumière inattendue qui s’introduisait dans leurs ténèbres. Cette révolte devait être vaine. Déjà le descendant des Jules appartenait fatalement à l’hymen.

Une série de hasards semblèrent faire vis-à-vis de Giuli l’office de ces matrones que Fourier, dans une page pleine d’une verve ardente, mais un peu brutale, représente poussant l’homme au mariage comme on pousse le bœuf à l’abattoir. Un jour, au milieu d’un bois, Cosme fut amené à échanger avec Amicie des paroles sérieuses de tendresse. Les hôtes de Vesprie avaient organisé une promenade. Mlles de Blesmau et de Courgey devaient monter à cheval avec le marquis de Giuli. Leurs mères devaient les suivre en calèche avec le comte d’Hermosa et le baron de Blesmau. Au dernier moment, le baron, fidèle à sa répulsion pour la société de don Gil, prétendit qu’il avait à surveiller un essai de grande culture; puis il se trouva que Mlle Juliette, dans la cargaison des toilettes qu’elle avait apportées à Vesprie, avait précisément oublié son habit de cheval. Grand désespoir de cette beauté, qui se résigna de fort mauvaise grâce à prendre dans la calèche la place que M. de Blesmau laissait vacante.