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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/464

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faire sortir bon gré, mal gré, la vérité de son puits. J’ai dit, je crois, que le parc de Vesprie rappelait les jardins du XVIIIe siècle par les recherches et les élégances de toute nature qu’on y avait entassées. Il renfermait, entre autres ornemens, une sorte de construction champêtre dans le goût des chalets de Trianon. C’était un pavillon en bois rustique curieusement travaillé, avec une couverture en chaume propre, lisse, brillante, et des fenêtres à vitraux coloriés. Cosme rencontra un matin devant ce pavillon Mlles de Blesmau et de Courgey. Les deux jeunes filles venaient visiter cette retraite; elles lui permirent d’y pénétrer avec elles. L’intérieur de l’ermitage répondait à ses dehors. Il y régnait un jour mystérieux caressant une tenture soyeuse et se jouant à travers des meubles gracieux. Une table svelte portait des romans et des fleurs, ce double luxe du monde apparent et du monde caché. Toute habitation humaine où l’on entre pour la première fois offre un genre d’attrait vif et singulier. Maintes rêveries, maintes pensées qu’y ont laissées des êtres inconnus vous reçoivent comme des hôtes invisibles. Giuli se livrait entre les deux jeunes filles à une agréable songerie, quand il entendit une voix vibrante : c’était celle d’Antonin Guéroux, ce peintre qui reproduit avec tant de verve les scènes que les Anglais appellent de high life. On ne peut nier qu’Antonin n’ait infiniment plus d’élégance dans son pinceau que dans sa personne. Il tient à honneur de conserver, dans un monde où cependant il se plaît à vivre, les souvenirs de l’atelier. — Je veux, dit-il, que mes pieds ne secouent jamais la poussière de la patrie.

Je n’entends ni le louer ni le blâmer. Je constate seulement une manière d’être dont il va donner une preuve trop éclatante. Amicie avait peu de penchant pour cet artiste; en l’entendant, elle avait mis son doigt sur sa bouche et fermé doucement la porte. — Me disons rien, murmura-t-elle à voix basse, laissons passer M. Guéroux. C’est peut-être un grand peintre, mais à coup sûr c’est un homme insupportable. S’il se joignait à nous, adieu pour moi le plaisir de la promenade. Il me gâte la nature partout ailleurs que dans ses tableaux.

On obéit à ses paroles, et un profond silence s’établit dans le chalet. Cependant Guéroux s’avançait toujours; il était avec un jeune homme dont je tairai le nom, qui lui servait en même temps de Mécène et de Pylade. Arrivé devant le pavillon muet et clos, où il était loin de soupçonner un auditoire caché, Antonin cria sur un ton des plus perçans :

— Voici un petit objet Pompadour qui doit avoir une destination galante et sentimentale. C’est ici que notre hôtesse et son vieil Espagnol viennent tous les deux faire de la bergerie. Là Clotilde échange des paroles ardentes avec Gil, car après tout l’amoureux se nomme