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leurs orageuses de sa vie s’étaient présentées à lui tour à tour, où il s’était livré sans défense aux serres des plus cruels souvenirs, il s’élança tout à coup près d’elle, la prit dans ses bras sans mot dire, et la tint étroitement serrée sur sa poitrine. Elle sembla irritée plutôt qu’attendrie de cette caresse imprévue; elle comprit sans en avoir pitié le besoin de secours qui poussait vers elle cet homme blessé. — Mon ami, lui dit-elle avec autant de discernement que de cruauté, vous venez à moi comme certaines âmes viennent à Dieu, en proie à ces mouvemens fébriles que la vraie piété condamne, parce qu’ils ne produisent rien que d’incertain et d’éphémère. Que puis-je pour vous? Je veux ignorer les maux dont vous avez souffert. Si l’un de nous deux doit être pour l’autre un appui, assurément ce n’est pas moi.

Et comme les yeux de Giuli se remplissaient de larmes : — Allons donc ! s’écria-t-elle, songez que je suis votre femme et non point votre maîtresse. De pareils pleurs sont faits pour couler aux pieds d’une dame semblable à celle que vous avez rencontrée à l’Opéra. Aimez-moi, si vous pouvez encore aimer, avec plus de simplicité et plus de calme.

— Ah! dit Cosme, vous avez raison, je suis un fou; pardonnez à une nature nerveuse qui serait tout au plus excusable chez une femme, qui en vérité est ridicule et presque odieuse chez un soldat. Regardez-moi à présent, je vais sourire. — Et il s’enfuit.

Quand il fut chez lui, il se laissa tomber sur un sofa; il mit sa tête dans ses mains, et il se livra tout entier à ce désespoir où Dieu prend plaisir à plonger les âmes possédées d’un amour dont il n’est pas le but.

Cependant avec les grandes tristesses venaient tous les tracas infimes. Ce qu’il y a de terrible dans l’hymen, c’est qu’au jour de ses colères il ne se borne pas, comme l’amour, à convoquer la troupe majestueuse des douleurs; il n’est pas de misérables chagrins, d’ennuis gauches et rechignés qu’il n’appelle. Cosme eut à subir des tourmens qui devaient amener de fatales violences chez une âme telle que la sienne. Ses goûts étaient méconnus ou froissés dans tous les détails de sa vie. On peut juger par exemple de la répugnance, de l’amertume, de la fatigue que certaines réunions mondaines devaient lui causer. Eh bien ! sa femme imagina de ne plus manquer un seul bal. Elle affecta pour la danse une passion où Giuli sentait un défi cruel et moqueur. Vous représentez-vous ce grand écrivain, ce vaillant soldat, cet homme dont l’Italie était fière, ce bon et noble Cosme faisant le métier de mari dans ce qu’il a de plus détestable et de plus vulgaire, transformé en une sorte de duègne dont sa femme bravait le pouvoir, forcé de supporter les veillées insipides