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situations sont violentes sans être vraies. Le Retour du Mari n’est point certainement une œuvre littéraire ; il n’y a pas même assez de cet intérêt qui fait parfois le succès passager d’une composition dramatique, et le Théâtre-Français peut se remettre à la poursuite de la nouveauté. ch. de mazade.



ESSAIS ET NOTICES.
La Régence de Tunis, par M. J. Henry Dunant[1].

En 1270, saint Louis mourait à Tunis ; il était venu devant le chastel de Carthage, dit le sire de Joinville, espérant voir le roi de Thunes se chrestienner luy et son peuple. Six siècles se sont écoulés depuis la dernière croisade, et les espérances du saint roi ne se sont point encore réalisées. Cependant la civilisation européenne a pénétré dans la régence de Tunis ; elle y fait chaque jour des progrès, soutenue par le christianisme, qui a transporté, là aussi, ses institutions charitables et son action bienfaisante. Ce n’est point par la conquête que l’idée chrétienne s’est implantée dans cette région musulmane par excellence, où l’on fit peser longtemps sur les Nazaréens, comme sur les juifs, le joug du plus dur esclavage. Dans leurs relations fréquentes avec l’Europe, les beys de la race des Hussein-ben-Aly avaient appris à respecter les nations de l’Occident et surtout la France. Doués de modération et de justice, leurs héritiers, les derniers souverains de Tunis, ont successivement aboli la servitude des chrétiens, mis un terme aux vexations exercées contre les juifs, supprimé l’esclavage des noirs, et introduit dans leurs états des réformes qui portent leurs fruits. En même temps, ils permettaient aux catholiques de fonder dans leur capitale des écoles et des hôpitaux. La France, on le conçoit, a encouragé et secondé de tous ses efTorts ces tendances vers un régime d’amélioration et de progrès. Les traités du dernier siècle lui accordaient le premier rang parmi les nations d’Europe ; elle était la protectrice reconnue de tout chrétien arrivant sur le territoire de la régence. Ce beau privilège lui valut en une circonstance importante la gloire d’attacher son nom à un grand acte d’humanité et de justice dont l’honneur revient au prince Achmed-Bey. En 1842, une famille de noirs, pour échapper aux mauvais traitemens que lui infligeait un maître barbare, vint chercher un asile au consulat général de France. Achmed-Bey, cédant aux demandes de notre chargé d’affaires, accorda la liberté aux fugitifs, et déclara libre à l’avenir tout enfant qui naîtrait de parens esclaves. Bientôt après ce prince émancipa les esclaves de sa propre maison, et ce généreux exemple fut suivi dans tous ses états.

Les Tunisiens de nos jours, soumis à un gouvernement sage et régulier, ne ressemblent donc plus guère à ces pirates fameux par leurs féroces exploits que les deux Barberousses, Aroudj et Khaïr-ed-din, lançaient de toutes parts dans la Méditerranée contre les galères espagnoles et génoises. On retrouverait plutôt en eux les descendans des Maures de Cordoue et de Grenade, dont les vieux poètes de l’Espagne ont célébré avec une certaine tris-

  1. Un beau volume grand in-8o, Genève 1858.