Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À la solidité et au plan de ces constructions cyclopéennes, on reconnaît qu’elles sont l’œuvre de peuples intelligens, nombreux, sédentaires et bien gouvernés, enfin qu’elles n’ont pas été élevées précipitamment et sous la pression de quelques dangers imprévus. Ce système de défense tenait à un ordre de choses permanent ; il était fondé sur les nécessités du temps et motivé par des périls sans cesse imminens : c’étaient des asiles toujours ouverts, où se retiraient, en cas d’attaque, les familles avec leurs biens. Peut-être même était-ce à l’abri de ces remparts que ces peuples dressaient leurs tentes, qu’ils tenaient en réserve leurs provisions, et qu’ils résidaient habituellement, n’en sortant que pour vaquer à leurs travaux. Quels étaient ces travaux ? C’étaient probablement ceux de l’agriculture. Ce genre de vie est le seul qui permette aux hommes de se réunir en si grand nombre, de former des associations durables, d’asseoir l’autorité sur des bases solides, et de se ménager des provisions pour soutenir des sièges. On ne peut espérer rien de pareil d’un peuple chasseur. Or les tribus indiennes, vivant presque uniquement de gibier et constituées comme elles l’étaient il y a trois siècles, loin de pouvoir bâtir de telles fortifications, n’auraient pas même eu les moyens d’y vivre pendant quinze jours.

On trouve encore dans la région de l’Amérique parcourue par les tribus indiennes des monumens d’un autre genre, qui, s’élevant au milieu des plaines ou au pied des collines, n’étaient évidemment pas destinés à la défense. Les dimensions de ces édifices sont de beaucoup inférieures à celles des camps retranchés ; les murs ne sont pas disposés avec autant de précautions. Les formes sont d’une régularité surprenante. Les monumens dont nous parlons se composent de deux compartimens principaux, tous deux entourés de murailles et de fossés continus. Ces deux enceintes ont ordinairement des aires équivalentes ; mais l’une est ronde, l’autre octogone ou carrée. Celle qui est ronde n’a qu’une ouverture, presque toujours tournée vers l’orient, qui la met en communication avec celle qui est octogone. Celle-ci, dont les côtés et les angles se correspondent avec une justesse géométrique, a plusieurs ouvertures. Tout porte à croire que ces monumens étaient consacrés au culte.

Dans tout le territoire de l’Ohio et dans les contrées voisines, on trouve fréquemment des groupes d’enclos de cette espèce. Ils diffèrent les uns des autres par les dimensions, mais ils ont tous entre eux ce rapport de ressemblance, que les deux principaux compartimens sont, l’un rond, l’autre octogone ou carré, et que les plus petits sont circulaires.

D’après les conjectures des érudits américains, la grande enceinte circulaire, où l’on ne pouvait entrer qu’en traversant l’enceinte octogone, était le sanctuaire, où n’était admise que la caste sacerdotale, et où se trouvaient les autels, les effigies des dieux et les autres objets sacrés, tandis que l’enclos octogone, où étaient pratiquées plusieurs ouvertures, était destiné à la foule des assistans. Les habitans du Mexique et du Pérou avaient également des enclos sacrés où ils dressaient les statues de leurs dieux, et qui étaient interdits au vulgaire. Du reste, cet usage d’enceintes religieuses où les profanes ne peuvent entrer se retrouve chez presque tous les peuples, tant anciens que modernes. Les pagodes des Hindous ne sont-elles pas aujourd’hui,