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à un châtiment terrible ; mais était-il de force à se dire : « Je mourrai avec elle ! » Le jeune voyageur finit par prendre une détermination beaucoup moins héroïque. Quatre eunuques s’étant placés entre Ombrelle et lui, il comprit l’inutilité, le danger même de toute tentative où se révélerait trop clairement son amour. On le vit se redresser, puis se pencher vers l’issue que lui indiquait le bey, lever le bras du même côté et la jambe du côté opposé, demeurer un instant dans cette pose théâtrale, et se précipiter dehors. La porte se referma aussitôt sur le téméraire qui avait apporté tant de trouble dans le harem le mieux tenu de Constantinople, et Ombrelle se retrouva seule en présence d’un maître irrité et d’une rivale impitoyable. Son regard s’étant rencontré avec celui de Zobeïdeh, la jeune femme crut y lire son arrêt. Elle voulut faire quelques pas vers le bey, mais la force lui manqua, et elle alla se heurter à l’un des esclaves, dont la main noire, en s’appuyant sur son épaule, lui arracha un cri d’épouvante. Éperdue, presque folle, Ombrelle courut aussitôt se cacher derrière Maléka, qui, dans un noble élan de pitié, n’hésita pas à la conduire jusqu’aux pieds du bey, en sollicitant son pardon.

La douleur de cette créature exclusivement sensuelle, possédée d’un désir effréné de vivre, avait quelque chose de navrant. Ombrelle n’avait jamais songé à la mort, et la seule pensée du gouffre inconnu dont elle entrevoyait pour la première fois les menaçantes profondeurs la remplissait d’un indicible effroi. Elle s’arrachait les cheveux, se déchirait le visage, promettait de se tuer elle-même, pourvu qu’on lui accordât quelques momens de répit, et qu’on ne la livrât pas aux terribles esclaves noirs. Hâtons-nous de dire que si Osman n’avait rien de tendre, il n’était pas non plus cruel. Ce qui dominait chez lui tout autre sentiment, c’était le désir réfléchi de ne pas commettre d’acte réprouvé par la loi. Quand il laissa tomber un froid regard sur cette malheureuse créature, naguère si charmante de fraîcheur et de jeunesse, aujourd’hui presque hideuse au milieu des accès de sa folle épouvante, il se sentit positivement mal à l’aise, et se hâta de mettre un terme à une scène devenue trop pénible. Rien ne pressait, et le moment ne lui semblait pas venu de se prononcer irrévocablement. Il avait fait signe aux noirs d’emmener Ombrelle uniquement pour la tenir enfermée pendant qu’il déciderait de son sort ; mais Ombrelle, habituée par les récits du harem à ne voir dans les noirs que des bourreaux, poussa de tels cris, qu’il fallut renoncer à exécuter cet ordre. Maléka offrit de la conduire elle-même dans une des chambres du palais qui lui serait assignée pour prison, et Osman accueillit cette offre avec empressement.

Grande fut la joie de la pauvre Ombrelle en se voyant dans une chambre qu’elle connaissait, et seule avec Maléka, hors de la portée