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un de ces impies qui dérobaient la veuve et mettaient à mort l’orphelin. Sa moralité était aussi élevée que celle de la moyenne générale du genre humain ; son sentiment de l’honneur était beaucoup plus élevé : il était généreux et sensible. Personne ne l’avait jamais entendu mentir, et il avait une honnêteté invariable, en partie réelle parce qu’il aimait à être honnête, en partie affectée parce qu’il savait qu’à la longue cette honnêteté serait productive, et parce qu’elle laissait sans défiance les gens dont il voulait faire ses instrument. Mais de piété dans le vrai sens du mot, de la croyance qu’il y avait en haut un être qui s’occupait de lui, et qui le soutenait dans le travail quotidien de la vie, de la croyance qu’il était bon de chercher les conseils de cet être, conseils qui étaient toujours donnés lorsqu’ils étaient demandés, de notion exacte quelconque d’une Providence céleste, Tom en était aussi ignorant que tant de milliers de braves gens qui vont à la messe chaque dimanche, qui lisent de bons livres, et croient fermement que le pape est l’antéchrist. Il aurait dû être mieux instruit sans doute, car son père, était un homme religieux, mais il était ignorant sur ces matières, comme le sont aussi des milliers d’autres qui ont eu comme lui des parens religieux. On lui avait enseigné, cela va sans dire, les doctrines élémentaires et les devoirs ordinaires de la religion ; mais ces anciens souvenirs avaient été effacés de son esprit, comme les chiffres écrits à la craie sur l’ardoise d’un écolier, par le courant de nouvelles pensées et l’impression de nouveaux objets durant ses courses aventureuses. Il avait eu en abondance désappointemens et dangers ; mais ces désappointemens et ces dangers étaient de ceux qui encouragent un brave et joyeux esprit à prendre confiance en lui, et à se pourvoir de ressources : ce n’étaient pas ces grands chagrins du cœur qui laissent l’homme seul dans le plus profond du gouffre, sans aucun appui intérieur et appelant avec des larmes un secours surnaturel. Il avait vu des hommes de toutes les croyances, et il croyait savoir par expérience que dans toute religion les coquins formaient le grand nombre, et les honnêtes gens le petit nombre. Toutes les religions étaient à ses yeux également vraies et également fausses. Une moralité supérieure était, selon lui, principalement due aux influences de race et de climat, et l’enthousiasme dévotieux, — à en juger au moins d’après les camp-meetings américains et les villes papistes, — était le résultat d’un système nerveux déréglé. »


Tel est le portrait de Thomas Thurnall. Eh bien ! nous avouerons franchement à M. Kingsley que, malgré tout le respect qui est dû à l’expérience pratique, nous n’aimerions pas admettre dans notre société un homme d’un pareil caractère. Qu’est-ce qu’une honnêteté qui n’a pas son but en elle-même, qui ne trouve pas en elle-même sa récompense, mais qui est employée comme moyen de fortune et comme instrument de succès ? La dure main de cet homme pressera comme une orange tous ceux qui s’approcheront de lui, et leur fera rendre tout ce qu’ils peuvent donner. Il lui suffira d’avoir un droit pour exercer ce droit dans toute son énergie et pour le pousser jusqu’à ses dernières limites ; Tom Thurnall est donc un despote de la pire