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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

Quand même les Céphalènes seraient moins amis du changement, ils ne seraient pas plus favorables au « protectorat » britannique, et ce n’est pas aux peuples dégénérés qu’il appartient de garder, malgré de si terribles revers, un si vif esprit d’indépendance.

Le climat de Zante (l’ancienne Zacynthe) n’est pas moins beau que celui de Céphalonie, et les habitans de cette île[1] ont su, mieux que leurs voisins, tirer parti de la fertilité du sol. Quoiqu’il n’y ait point là de rivières, des sources nombreuses entretiennent dans les champs la richesse et la vie. Aussi Zante produit-elle en abondance les fruits les plus exquis. Outre les olives et le raisin de Corinthe, on y récolte une multitude d’oranges, de citrons, de grenades et de pèches. Les terres fécondes auxquelles Zante doit toutes ces richesses sont partagées entre un certain nombre de grands propriétaires dont les tendances font un contraste singulier avec les instincts ordinaires de la race hellénique, essentiellement amie de l’égalité. Le moyen âge, qui avait constitué dans ces îles des seigneuries féodales, et la domination de l’aristocratique Venise, ont laissé de nombreuses traces parmi les Ioniens. Cette constitution sociale, qui crée tant d’oisifs, a sans doute contribué à développer chez un peuple d’imagination ardente des défauts dont on a trop parlé pour qu’il soit possible de les contester.

Théaki (l’ancienne Ithaque), qui a pour capitale l’excellent port de Vathi, est une île montagneuse où abondent les chèvres et surtout ces « porcs à la dent éclatante » qui constituaient sa principale ressource au temps d’Ulysse, « pasteur des peuples, » qui « remplissait de sa gloire Argos et l’Hellade. » Les huit mille insulaires de Théaki ont conservé le goût des excursions lointaines. Ces marins ardens vont en grand nombre naviguer dans la Mer-Noire ; mais s’ils n’ont plus à redouter, comme les compagnons du fils de Laërte, Circé, les Lestrigons et les cyclopes, ils trouvent sur les côtes redoutées du Pont-Euxin autant de tempêtes qu’à l’époque à demi fabuleuse où Neptune ballottait Ulysse sur les vagues de la Mer-Ionienne.

Santa-Maura (l’ancienne Leucade), dont la capitale se nomme Amaxichi, est restée célèbre par la mort de Nicostrate, d’Artémise et de Sapho. Comme Santa-Maura n’est séparée que par un canal de la Grèce continentale, ses dix-sept mille habitans sont de tous les Ioniens ceux qui ont le mieux conservé la langue, les coutumes et le caractère des Hellènes. Aussi les montagnards de Santa-Maura ont toujours été prêts à descendre sur les côtes voisines pour prêter

  1. La capitale, qui porte le même nom, et qui est la résidence d’un métropolitain, a dix-neuf mille habitans. L’île entière en a quarante mille.