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Comme le remarque l’éditeur de Browne, il ne faudrait pas oublier sans doute que cette croyance aux sortilèges[1] était partagée par les plus grandes intelligences de l’époque, par Bacon, l’évêque Hall, Baxter, Hale, etc. Toujours est-il que la déposition de Browne touche réellement à un côté faible de son imagination. Ses écrits démontrent assez qu’en matière de magie il faisait plus que partager l’opinion de son siècle. Par nature, il avait le cœur tendre pour les esprits et les agens surnaturels. Les hommes et les choses de ce monde lui apparaissaient volontiers comme des poupées et des décors dont les fils étaient entre les mains des anges et du démon.

Que signifie cette étrange alliance de l’esprit d’examen et des rêveries thaumaturgiques ? Comment expliquer cet expérimentaliste visionnaire dont l’intelligence semble donner tour à tour tant de signes de force et de faiblesse ? Plus d’une fois déjà Browne a été discuté comme une énigme, et les oracles ont eu peine à s’entendre sur son compte. Les uns ont tranché la difficulté en rejetant ses préjugés sur l’époque pour n’attribuer à lui-même que son évidente sagacité ; les autres l’ont considéré seulement comme un esprit chimérique qui n’aimait le savoir que pour alimenter les rêves de son imagination. Je ne pense pas qu’il y ait lieu de prononcer des jugemens aussi exclusifs. Il me semble que sa raison et ses illusions n’ont rien au fond d’incompatible, qu’elles sont bien les deux faces d’une nature unique, d’un même tempérament, qui suffisaient pour faire de lui tout à la fois un critique et un visionnaire, un observateur très apte à distinguer le vrai du faux dans le domaine des faits, et une imagination très féconde en apparitions merveilleuses. C’est ce caractère que je voudrais suivre dans les écrits du médecin de Norwich, et plus spécialement dans un de ses ouvrages qui a en partie gardé le privilège de parler encore à notre condition, comme disait le quaker George Fox. Nous avons été trop habitués à nous représenter l’imagination comme la folie qui est le contraire même du bon sens scientifique, et ce préjugé suffirait pour transformer tout le passé en un chaos d’inconcevables contradictions ; mais en réalité la folle du logis a rendu de bons services, et, si je ne me trompe, il s’en faut que notre observateur visionnaire soit purement une anomalie. Avec ce qu’il a de plus insolite pour nous, avec son développement particulier qui ne serait plus possible de nos jours, il nous donne, une image assez fidèle de l’esprit

  1. Jacques Ier, à son avènement, avait fait brûler en place publique le livre de Reginald Scott, qui avait osé jeter des doutes sur la sorcellerie, et c’est sous son règne que l’on vit des hommes se faire une profession de découvrir les sorciers. En 1668 encore, Joseph Glanvil, un des fondateurs de la Société royale, écrivait son Saducismus triumphatus pour défendre contre les sceptiques l’existence de la magie noire.